À la veille de cette audience, censée clore le débat sur la demande d’expertise médicale introduite par le collectif Appel à agir, nombre d’observateurs paraissent désabusés.
C’est un rebondissement inattendu. Plus de dix-huit mois après l’arrêt de sa deuxième chambre civile, l’assemblée plénière de la Cour de cassation va se réunir en une audience publique. Le 21 janvier courant, elle examinera la requête du collectif Appel à agir, relative à une expertise médicale sur la personne d’Ali Bongo. Même s’il n’est nullement question d’accusation, les deux parties auront la possibilité d’invoquer de nouveaux moyens, produire de nouvelles pièces ou fournir d’autres preuves. Quand bien même on ne peut préjuger de rien, on aura une autre lecture de la portée de l’ordonnance du 19 juillet 2019. On saura aussi si elle est définitivement cassée et annulée.
Qui dirige le Gabon ?
Tout est parti d’une demande en référé, déposée le 28 mars 2019, devant le président du tribunal de Libreville, «afin que soit ordonnée une expertise médicale sur la personne d’Ali Bongo.» Pour les requérants, il s’agissait de créer les conditions de la «constatation de la vacance du pouvoir.» S’ensuivît un micmac indigne d’un appareil judiciaire organisé. Médusée, l’opinion assista à une passe d’armes entre magistrats. Dans cette atmosphère délétère, Paulette Ayo Akolly, fut suspendue de ses fonctions. Le 02 septembre 2019, la Cour d’appel recula, affirmant surseoir la procédure «jusqu’à droit connu par la Cour de cassation.» Entretemps, précisément le 07 juillet de la même année, la Cour de cassation prît un arrêt aux fins de casser et annuler «en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue par le premier président de la Cour d’appel de Libreville.» On en était là, avant l’avis d’audience émis par le greffier en chef de la Cour de cassation.
Comment la suite pourrait-elle s’écrire désormais ? N’en déplaise aux zélotes de tout poil, le débat sur les capacités physiques et cognitives d’Ali Bongo n’a jamais été clos. Comme sa dernière visite à l’Elysée, ses sorties publiques n’ont nullement aidé à clarifier les choses. Bien au contraire. Elles ont systématiquement ravivé la polémique, semant le doute sur l’identité du donneur d’ordres au sommet de l’Etat. Récemment encore, de nombreuses personnalités ont étalé leur scepticisme. Dénonçant la «tyrannie du catenaccio», s’élevant contre la mainmise des «nouvelles éminences» sur la vie publique, elles ont appelé à «une reprise en main directe des affaires du pays par le président de la République.» Implicitement, elles ont repris la question chère à Appel à agir : «Qui dirige le Gabon ?» D’une certaine manière, elles ont fait écho à sa conviction : «Ali Bongo n’étant plus en capacité de diriger, les impostures se succèdent au sommet de l’Etat.» C’est dire si l’avis de la Cour de cassation arrive fort à propos.
Au nom d’intérêts bassement matériels
A la veille de cette audience tant attendue, nombre d’observateurs paraissent sceptiques, désabusés. Echaudés par l’expérience du passé, certains prédisent une fin de non-recevoir. D’autres parlent de manœuvre expiatoire visant à donner l’illusion d’une justice indépendante. Il s’en trouve pour y voir un stratagème destiné à redorer l’image des magistrats. Au-delà, chacun cherche à comprendre le sens et la portée de la convocation d’une assemblée plénière. Sur la crédibilité de nos institutions comme sur le fonctionnement de l’appareil d’Etat ou l’Etat de droit en général, les interrogations fusent de partout. La Cour de cassation va-t-elle apporter un début de réponse ? Va-t-elle ouvrir la voie à la clarification ? Va-t-elle plutôt accentuer les doutes ? Déjà, d’aucuns le rappellent : le président de la République est tout à la fois le «garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire» et le président du Conseil supérieur de la magistrature. Ces éléments seront-ils déterminants ? Voire…
N’empêche, on ne saurait faire comme s’il s’agit d’un procès accusatoire. Appel à agir n’a jamais porté d’accusation contre Ali Bongo. Ce collectif demande simplement à la justice de l’aider à faire la lumière sur les capacités de ce dernier à remplir les charges de président de la République. Contrairement à une idée reçue, cette démarche vise à garantir un fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Après tout, le président de la République est la clef de voûte des institutions, «le détenteur suprême du pouvoir exécutif.» Loin de tout dégagisme, il faut s’assurer des capacités physiques et cognitives du dépositaire d’une responsabilité aussi lourde. C’est, du reste, le sens de l’examen médical imposé à tout postulant à cette fonction. Pourtant, au nom d’intérêts bassement matériels, certains s’efforcent à détourner le débat, lui donnant une connotation politicienne pour mieux le tuer. Peu importe le verdict final, seul le jugement de l’Histoire fera foi.