Le président de l’Assemblée nationale peut toujours dénoncer la «confusion des rôles.» Son propos n’en est pas moins politiquement connoté. Comme à son habitude, il a préféré protéger le gouvernement, quitte à cautionner des malversations financières.
Comme souvent, le président de l’Assemblée nationale a suscité colère, désolation et raillerie. Colère, en raison d’une tendance à s’exonérer de toute responsabilité. Désolation, du fait d’une propension à se lancer dans des interprétations spécieuses des textes. Raillerie, à cause d’une incapacité à se hisser au niveau des enjeux. Revenant sur le débat relatif aux «nouvelles mesures gouvernementales de prévention, de lutte et de riposte contre la propagation de la covid-19», Faustin Boukoubi a affirmé : «Ce n’est qu’après que les arrêtés ont été pris que les députés auraient pu réagir.» Dans les colonnes de notre confrère L’Union, il a ajouté : «Les députés, à main levée, ont voté pour la non-publication (…) (du) rapport (de la commission d’enquête parlementaire sur la gestion des fonds alloués à la lutte contre covid-19).» Selon lui, la chambre basse du Parlement ne pouvait pas amender les arrêtés n° 0559/PM et 0685/PM, annulés par la Cour constitutionnelle. Mais elle a fait le choix de protéger le gouvernement, quitte à dissimuler la vérité ou à cautionner des malversations financières.
Connivence institutionnelle
Pourtant, en son article 4, la loi n° 003/2020 énonce : «Le Premier ministre, sur la base d’un rapport (…) prend par arrêté toutes les mesures de nature à prévenir, lutter et riposter contre la catastrophe sanitaire en cause.» Mieux, en son article 5, le même texte précise : «L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le gouvernement pour (y) faire face» Autrement dit, avant de passer à la rédaction de son arrêté, Rose Christiane Ossouka-Raponda aurait dû en décliner le contenu devant le Parlement. Contrairement aux dires du président de l’Assemblée nationale, «le contrôle et l’évaluation (…) des mesures gouvernementales» ne s’effectuent pas «à postériori» mais à priori. De même, le droit à l’information est non-négociable. Principe à valeur constitutionnelle, il ne peut être limité. Sauf pour des raisons d’ordre public. Y sommes-nous ? On peut en douter.
Élus au suffrage universel direct, les députés sont censés représenter la nation et en défendre les intérêts. Du coup, le propos du président de l’Assemblée nationale paraît insupportable, peu respectueux du peuple souverain. Peut-on agir «librement» quand on vote à main levée ? Pourquoi toujours recourir à ce mode de votation ? S’il voulait capitaliser les «observations» de ses collègues, Faustin Boukoubi aurait privilégié le bulletin secret. En optant pour la main levée, il s’est donné les moyens de tout contrôler, volant au secours du gouvernement. Ne lui en déplaise, une épée de Damoclès plane «au-dessus de la tête des députés PDG.» Pour tout dire, la connivence institutionnelle relève de l’évidence. C’est dire si le mandat impératif est loin d’être nul. Bien au contraire.
Zone d’ombre
A aucun moment, le président de l’Assemblée nationale n’a envoyé les signaux d’une volonté de mieux faire. Au lieu d’indiquer comment il compte amener le gouvernement à se soumettre aux procédures de contrôle, il s’est lancé dans des explications vaseuses. Au lieu de dire comment fera-t-il pour remédier à la dissimulation du rapport de la commission d’enquête parlementaire, il a choisi de botter en touche. «Ce rapport date de 2020, deux ans plus tard, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Les réalités ne sont plus les mêmes», s’est-il autorisé à dire. Comme pour inviter l’opinion à tourner la page. Comme pour demander à la société civile de renoncer à ses prétentions de faire la lumière sur la gestion de l’argent public. Comme pour laisser croire à une prescription des délits et crimes économiques éventuels.
Faustin Boukoubi peut toujours dénoncer la «confusion des rôles.» Il peut même flétrir une envie supposée d’«entretenir (…) l’amalgame.» Son propos n’en est pas moins politiquement connoté. Comme à son habitude, il s’est gardé d’aller au fond des choses, déflorant les sujets pour mieux embrumer les esprits. A-t-il prétendu ne pas avoir eu la possibilité de réagir en raison de «l’heure à laquelle (les arrêtés) ont été pris» ? Dans sa décision n° 045/CC, la Cour constitutionnelle affirme : «Le gouvernement a établi à l’instruction avoir régulièrement informé les deux chambres du Parlement.» Le président de l’Assemblée nationale peut-il le confirmer ? Pourquoi s’est-il gardé de le faire ? N’avait-il pas connaissance de cela ? Pour le respect dû à sa fonction, il gagnerait à clarifier cette zone d’ombre. Autrement, sa dernière interview aura toujours des relents de basse propagande politicienne.