En faisant de la Cour constitutionnelle la pierre angulaire de l’édifice juridico-institutionnel, le pouvoir a ravalé les juridictions administratives au statut de spectateurs. Avec le débat sur le pass vaccinal, il est pris au piège de ses expérimentations hasardeuses.
Jamais des modifications constitutionnelles décidées en opportunité n’ont garanti l’efficacité. Destinées à verrouiller le jeu politique, elles se retournent toujours contre leurs initiateurs. Même s’il feint de ne pas en avoir conscience, le gouvernement en fait l’amère expérience en ce moment. En application de l’article 85 de la Constitution, l’arrêté n° 0559/PM du 25 novembre 2021 a été suspendu, suite à un recours introduit par le Copil citoyen auprès de la Cour constitutionnelle. Autrement dit, la loi n° 046/2020 portant révision de la Constitution vient de produire son premier effet pervers. Si la Constitution n’avait pas été retouchée en janvier dernier, on n’en serait pas là. Si des esprits malins n’avaient pas songé à élargir les pouvoirs de la juridiction constitutionnelle, cette situation ne serait jamais advenue. Et pour cause : devant les tribunaux de l’ordre administratif, le recours n’est pas suspensif.
Gouvernement des juges
Depuis toujours, nombre d’observateurs ont mis en garde contre cette tendance à triturer la Constitution, à lui faire dire tout et son contraire voire à s’échapper de son esprit. Lors de la révision constitutionnelle de janvier 2018, Jean-Christophe Owono Nguéma, alors vice-président du Sénat, dénonçait une «monarchisation de la République.» «Telle que proposée aujourd’hui, la Constitution dit que le président est le seul à déterminer la politique de la Nation. Il n’a plus à se référer au gouvernement. Il détient seul, le pouvoir suprême de l’exécutif, il n’a plus à le partager avec le Premier ministre», expliquait-il. Redoutant la naissance d’un gouvernement des juges, nous nous demandions, en septembre dernier, si en s’arrogeant «le contrôle de constitutionnalité des textes réglementaires, la Cour constitutionnelle (n’était) pas en passe de se substituer au juge administratif.» Peine perdue.
Pour autant, toutes ces questions ont implicitement été soulevées à la faveur du débat sur l’instauration du pass vaccinal. Après tout, un arrêté a été suspendu non pas en vertu des préconisations du Code des juridictions administratives mais en raison des dispositions relatives à la… Cour constitutionnelle. A ce blocage inhérent à la procédure s’ajoutent des doutes sur les réels pouvoirs du signataire de l’acte querellé. Ne partageant plus le pouvoir exécutif avec le président de la République, le Premier ministre est-il encore en capacité de prendre des actes règlementaires ? Où l’on en vient à se demander comment la Constitution peut-elle lui denier tout pouvoir exécutif tout en lui reconnaissant le droit d’assurer «l’exécution des lois» ou d’exercer le «pouvoir réglementaire.» N’est-ce pas contradictoire ? N’est-ce pas une source de polémiques infinies ? N’est-ce pas la porte ouverte aux interprétations multiples et spécieuses ?
Renvoyer la juridiction constitutionnelle à ses missions originelles
Les différentes modifications constitutionnelles étant restées au milieu du gué, le pouvoir se trouve face à ses propres errances. En faisant du président de la République le «détenteur suprême du pouvoir exécutif» sans le rendre responsable devant le Parlement, il a accouché d’un régime hybride, peu connu des constitutionnalistes. En mettant fin à la dyarchie de l’exécutif tout en consacrant le pouvoir réglementaire du Premier ministre, il en a rajouté au capharnaüm. En faisant de la Cour constitutionnelle la pierre angulaire de l’édifice juridico-institutionnel, il a ravalé les juridictions administratives au statut de spectateurs. Avec la suspension de l’arrêté n° 0559/PM du 25 novembre 2021, il est pris au piège de ses expérimentations hasardeuses. Comme un retour de manivelle. S’il ne reconsidère pas certaines de ses réformes, s’il s’entête à concevoir des textes taillés sur mesure, le gouvernement sera toujours à la peine dans la mise en œuvre des politiques publiques. En clair, il s’exposera toujours à de telles déconvenues.
Concrètement, la validité juridique de tous les actes pris par le Premier ministre pourra désormais être questionnée. De même, tous les actes réglementaires, de portée générale ou individuelle, seront susceptibles d’être suspendus. Pour ce faire, il suffira de saisir la Cour constitutionnelle. Grâce à ce mécanisme introduit par la dernière révision constitutionnelle, des nominations, y compris aux fonctions les plus élevées ou les plus sensibles, pourront être remises en cause. Pour éviter d’en arriver là, il paraît nécessaire de remettre le Conseil d’Etat au centre de la justice administrative. Pour tout dire, il serait plus sage de renvoyer la juridiction constitutionnelle à ses missions originelles.