La rencontre de Montpellier ravive le souvenir d’événements peu honorables. Si Emmanuel Macron veut porter le «renouveau», il doit tenir compte du projet européen, de l’alliance avec les États-Unis et de l’exigence du multilatéralisme.
Certains dénonceront une antienne. D’autres pointeront une hyperbole. Mais, le constat est là : accusée d’être à l’origine de tous les maux du continent, la France y a perdu la bataille de l’image. S’étant longtemps bercée d’illusions, elle a fini par ne plus avoir de «politique africaine.» S’étant refusée à adapter son dispositif militaire, elle est devenue l’assurance-vie de nombreux régimes. Ayant fourni assistance à des bureaucraties corrompues, elle s’est montrée peu favorable à la transparence. Ayant privilégié les liens personnels au détriment des relations entre États, elle s’est posée en acteur des débats politiques internes. Ses «amis» lui ont-ils garanti l’accès aux ressources ? Ils lui ont surtout aliéné l’estime et la considération des peuples.
Démocraties de façade
Se tenant ce 8 septembre à Montpellier, le Nouveau Sommet Afrique-France ambitionne de «changer le narratif autour des relations entre la France et l’Afrique», selon le mot de Wilfrid Lauriano do Rego. Il faut «lever les tabous pour envisager une relation plus équilibrée», soutient le coordonnateur du Conseil présidentiel pour l’Afrique, expliquant : «On ne peut le faire qu’en vidant le passé de ses non-dits.» Fanfaronnade ou invite à un exercice cathartique ? L’histoire tranchera. La France est-elle prête à discuter de son rôle dans la guerre civile de Côte d’Ivoire, la chute de Laurent Gbagbo ou l’arrivée au pouvoir de Blaise Compaoré ? Est-elle disposée à lever le voile sur la guerre livrée à l’Union des populations du Cameroun (UPC) ou les décès de Ruben Um Nyobé et Felix Moumié ? Est-elle en état de s’épancher sur le passage de témoin entre Léon Mba et Omar Bongo Ondimba ou sur la longévité de ce dernier à la tête du Gabon ? Nul ne peut en prendre le pari.
En raison de son passé colonial, la France ne saisit pas toujours les mutations en cours. Du fait de l’existence des réseaux de la Françafrique, elle est peu à l’écoute des peuples. Au lendemain du discours de La Baule, elle n’a pas su accompagner l’émergence de contre-pouvoirs ou de sociétés civiles fortes. Se satisfaisant des démocraties de façade, elle a continué à adouber des pouvoirs issus d’élections truquées. Comme le relèvent Jean-Marie Bockel et Jeanny Lorgeoux, «le non-respect de (ses) propres conditionnalités, le soutien apporté à des gouvernements bafouant les libertés publiques, les interventions militaires destinées à sauver (des régimes amis), l’accréditation de successions familiales (…) ont terni (son) image (…) et affecté (sa) crédibilité.»
Fondamentaux de la politique étrangère française
À l’entame du Nouveau Sommet Afrique-France, les développements de Wilfrid Lauriano do Rego et Benoît Verdeaux ressemblent à de la diversion. Ni les «évènements culturels» ni les «enjeux climatiques» et, encore moins, les «égalités de genres» n’ont contribué à façonner la relation Afrique-France. En reconnaissant l’existence d’un «certain nombre de différends, d’antagonismes», Achille Mbembé, l’a d’ailleurs reconnu. Implicitement, il a ravivé le souvenir d’événements peu honorables : réélections controversées des «amis de la France» au Cameroun, au Togo et au Congo ; manipulation des constitutions en Côte d’Ivoire, en Guinée et même au Gabon ; coups d’État militaires au Mali puis au Tchad. Face à chacun de ces dénis de démocratie, Emmanuel Macron a affiché une attitude équivoque. Bienveillant à l’égard de Paul Biya, Faure Gnassingbé, Denis Sassou Nguesso, Alassane Ouattara, Alpha Condé et Ali Bongo, il s’est montré particulièrement critique avec Assimi Goïta. Par contre, il est apparu enjoué face à Mahamat Idriss Déby.
Échaudées par ce double jeu, les opinions publiques africaines veulent en finir avec le Pacte colonial et ses succédanés. De la rencontre d’aujourd’hui, elles attendent trois engagements : la fin du franc CFA, le démantèlement des bases militaires, et un soutien à l’intégration africaine, particulièrement sous l’angle politique. Malheureusement, ni la monnaie ni la coopération militaire ni les relations avec l’Union africaine ne figurent à l’agenda. Certes, on y parlera d’«entreprenariat», d’«innovation» et d’«engagement citoyen.» Mais, on se gardera de réfléchir aux moyens d’en finir avec cette «diplomatie occulte et d’intermédiaires officieux, mêlant soutien aux dictatures et coups d’État, détournements de fonds et financement illégal de partis politiques». Or, «envisager ensemble les perspectives» revient à concevoir une politique africaine adaptée à l’époque. Autrement dit, Emmanuel Macron doit tenir compte des fondamentaux de la politique étrangère française : le projet européen, l’alliance avec les États-Unis et, l’exigence du multilatéralisme. Ne lui en déplaise, le «renouveau de la relation entre la France et le continent africain» ne se joue ni à Paris ni à Montpellier mais à Bruxelles, Washington, Addis-Abeba et New York.