Publié il y a 12 jours et largement repris au Gabon par les «vuvuzeleurs» du pouvoir, un article de Financial Afrik proclame le Gabon «pays le plus riche d’Afrique (hors très petits pays)». Biaisé, établissant un classement excluant bien d’autres pays grâce à des artifices fort insidieux, l’article est à l’antipode de la vérité. Certainement le début d’un type de communication qu’on verra de plus en plus à l’approche de la présidentielle gabonaise de 2023.
Pour la campagne électorale 2023, le Parti démocratique gabonais (PDG) envisage, entre autres, de «marteler les réalisations du septennat d’Ali Bongo, décliner tous les classements internationaux où le Gabon a repris des points», indiquait Africaintelligence le 21 septembre dernier. Les choses semblent avoir commencé avec la mise à contribution de médias étrangers, pour le mensonge, la distorsion ou l’amplification sans pudeur des faits.
«Dépassant le Botswana, le Gabon devient le pays le plus riche d’Afrique (hors petit pays)». Sous ce titre, un article a été publié le 22 septembre 2021 dans l’édition en ligne du Magazine Financial Afrik. Le texte est signé par Ilyes Zouari, président du Centre d’étude et de réflexion sur le monde francophone (CERMF), mais le média précise : les «articles parus dans la rubrique «contributions» expriment le point de vue de leurs auteurs.» Bonne précaution, l’article en question manipule à souhait des concepts divers et variés pour diffuser plusieurs contre-vérités.
Contrairement à son titre, l’introduction de l’article est plus précautionneuse en précisant : «Le Gabon vient de dépasser en termes de richesse par habitant le Botswana, deuxième producteur mondial de diamants, après la Russie, pour devenir le pays le plus riche du continent, hors très petits pays à la population et à la superficie particulièrement réduites, et majoritairement insulaires.» Les précisions ainsi apportées dans le texte confirment que le titre de l’article, qui indique les intentions des auteurs, est volontairement mensonger. Le Gabon n’est ni le pays le plus riche d’Afrique, ni le pays le plus riche d’Afrique par habitant.
Le Gabon, au 26ème rang 2020 en Afrique
Le PIB (Produit intérieur brut) est, pour les auteurs de l’article, la mesure ultime de richesse. Il présente pourtant des limites bien connues qui auraient pu amener Ilyes Zouari à préférer l’Indicateur de développement humain (IDH). C’est pourtant un lieu commun : le PIB n’est qu’une mesure globale, une moyenne ne permettant d’appréhender ni les inégalités sociales ni leur évolution. On peut très bien avoir un PIB moyen en augmentation alors que les revenus (qu’il est censé mesurer) diminuent pour une majorité de la population et augmentent fortement pour une minorité, renforçant ainsi les inégalités. Soit !
Selon le classement 2020 de la banque mondiale, le Gabon occupe en 2020 la 26ème place en Afrique, avec un PIB nominal de 15,59 milliards de dollars US. Le PIB nominal étant l’ensemble des valeurs ajoutées ne tenant pas compte de l’inflation. Ainsi, en considérant le PIB comme le déterminant de la richesse d’un pays, les pays africains suivants sont plus riches que le Gabon selon les données de la Banque Mondiale pour l’année 2020 :
Et même si l’on considère l’agrégat macroéconomique, PIB par habitant, utilisé par Financial Afrik, les données de la Banque Mondiale pour l’année 2020 donnent le classement suivant (En USD courant) :
Ainsi, les Seychelles, Maurice et la Guinée équatoriale ont, en 2020, un PIB par habitant supérieur au Gabon. Mais pour parvenir à leur conclusion, les auteurs de l’article ont exclu tous les pays ayant un PIB par habitant supérieur à celui du Gabon au motif que leur population serait faible et que ce seraient des îles. Ils comparent pourtant le Gabon à des pays bien plus peuplés des dizaines de fois. Il est donc de bon aloi de rappeler que le PIB nominal du Botswana est de 15,78 milliards de dollars US, donc supérieur à celui du Gabon qui est de 15,59 milliards de dollars US. C’est parce que la population du Gabon, estimée à 2,075 millions d’habitants en 2020, est inférieure à celle du Botswana, estimée quant à elle à 2,317 millions d’habitants en 2020 que le PIB par habitant du Gabon est supérieur à celui du Botswana.
Par ailleurs, en comparant le Gabon et le Botswana, on remarque que depuis 1960, le PIB par habitant du Gabon a toujours été supérieur à celui du Botswana, à l’exception des années récentes, 2016 à 2019, où le PIB par habitant du Gabon s’est retrouvé inférieur à celui du Botswana.
Ce que l’article du patron du CERMF ne dit pas c’est que le PIB par habitant du Gabon a plutôt évolué de manière défavorable au cours des dix dernières années et que le Gabon, sur le fondement de ce seul indicateur, s’est appauvrit. Ainsi que le montre le tableau ci-contre, le PIB/hab du Gabon qui était de 10.809,68 USD en 2011 n’a eu de cesse de baisser jusqu’à atteindre en 2016 la valeur de 6.984,42 USD, soit une baisse de 35,4%.
De même, toujours selon les statistiques de la Banque Mondiale, le PIB du Gabon sur la même période a évolué de manière particulièrement défavorable: il a chuté de 23% entre 2011 et 2016 et son niveau de 2020 est demeuré de 14,4% inférieur à celui de 2011.
Plan stratégique Gabon émergent (PSGE) et tout le catéchisme
Plutôt que d’affirmer que le Gabon serait devenu le pays le plus riche par tête d’habitant, on constate incontestablement que la production de richesse du Gabon, à travers le prisme du PIB s’est effondrée depuis l’année 2011, résultat de la politique conduite par le régime actuel. Or, Financial Afrik soutient que «Les bonnes performances du Gabon résultent principalement d’une politique volontariste en matière de diversification menée au cours de la dernière décennie, dans le cadre de la mise en œuvre du Plan stratégique Gabon émergent (PSGE), lancé en 2009.» Le média a certainement raté biens de données en matière de collecte de l’information. Il se trouve que plus personne au Gabon ne parle de PSGE dont l’échec cuisant s’est traduit par la liquidation, sans bilan officiel, de l’Agence nationale des grands travaux (ANGT), à la fois son maître d’ouvrage et d’œuvre. Une dissolution justifiée par un souci «d’efficacité, de productivité et de clarification des compétences», selon le gouvernement.
De même Financial Afrik qui s’autoproclame «leader de l’information financière en Afrique», ignore que la mesure d’interdiction d’exportation des grumes n’a nullement permis une industrialisation réelle de la filière bois, qu’elle a littéralement ruiné de nombreuses entreprises. Tout comme, d’une infécondité notoire, le fameux «programme Graine, lancé en 2014» s’est révélé n’avoir été une stratégie de campagne électorale. On pourrait déplorer que le journal se soit contenté de réciter le catéchisme des «vuvuzeleurs» du pouvoir gabonais.
Avec 20 000 mensonges en juillet 2020, répertoriés par le Washington Post depuis son élection à la présidence des États-Unis, Donald Trump est certainement l’homme politique ayant le plus menti. A deux ans de la prochaine présidentielle au Gabon, on peut craindre que le flagrant délit de mensonge avéré ne trouve des adeptes beaucoup plus forts dans «le pays le plus riche d’Afrique (hors petit pays)».