En créant le délit d’offense à l’institution ou à l’un de ses membres, cette ordonnance consacre la personnalisation du débat public et de l’appareil d’Etat
Jadis présentée par Paul Mba Abessole comme l’«obstacle majeur au fonctionnement de la démocratie», naguère comparée à la «Tour de Pise» par André Mba Obame, la Cour constitutionnelle est-elle en train de leur donner raison ? Selon l’ordonnance portant modification de sa loi organique, elle peut «directement soit infliger des amendes soit prononcer des inéligibilités, ou les deux sanctions à la fois à l’encontre des auteurs de menaces, d’outrages, de violences ou d’attaques de quelque nature que ce soit faites à (son endroit) ou à l’un de ses membres.» C’est dire si les candidats aux différents scrutins n’auront plus le droit de se prononcer sur ses décisions. C’est aussi dire si la presse ne pourra plus analyser son action. C’est enfin dire si ses membres deviennent des citoyens entièrement à part.
Confusion entre les hommes et l’institution
Liberticide, cette dérive ne surprend guère. Traumatisé par l’incendie de l’Assemblée nationale, le régime essaie de se prémunir d’incidents similaires. Au lieu de travailler à l’amélioration de la gouvernance, il opte pour la coercition, se taillant des textes sur mesure. Lors de la révision constitutionnelle de janvier 2021, il a doté les membres de la Cour constitutionnelle de protections «contre les menaces, outrages, violences et attaques (…) dans l’exercice de leurs fonctions (…) et même après la cessation de celles-ci.» Ne pouvant s’arrêter en si bon chemin, il menace maintenant «toute personne physique ou morale ou tout organe ou agent de presse» de poursuite judiciaires «suivant la procédure du flagrant délit.» En clair, plus personne n’aura le droit de critiquer son action, sous peine de se voir déféré devant le procureur de la République, interrogé puis jeté en prison. Bien entendu, selon son bon vouloir, la juridiction constitutionnelle pourra se faire justice.
De toute évidence, le verrouillage du jeu politique est en cours. Mais, cette stratégie n’est pas à l’avantage de la Cour constitutionnelle. Si elle sert les intérêts de ses membres, l’institution n’y gagne rien. Bien au contraire. Ni son prestige ni sa crédibilité et, encore moins sa respectabilité, ne s’en trouvent renforcés. La Constitution la définit-elle comme le garant «des droits fondamentaux de la personne humaine» ? Devenue inattaquable, elle se présente comme un ennemi de l’égalité entre citoyens. Désormais à l’abri de toute critique, elle apparaît comme un adversaire de la liberté d’opinion et d’expression. Se présente-t-elle comme le protecteur «des libertés publiques» ? On la soupçonne de s’opposer à la liberté de manifestation. Pis, en promettant des «sanctions (…) à l’encontre des auteurs (…) d’attaques (…) faites (…) à l’un de ses membres», elle installe la confusion entre les hommes et l’institution, consacrant la personnalisation du débat public et de l’appareil d’Etat.
Promotion de la pensée unique
Comme son imprégnation à l’esprit de nos institutions, sa compréhension du fonctionnement de l’Etat inquiète. Dans les régimes inspirés de la Constitution française de 1958, une seule institution est assimilable à son titulaire : le président de la République. Or, tout et chaque jour, Ali Bongo est attaqué, critiqué ou moqué. Si certains citoyens ont fini dans les geôles ou devant les tribunaux, ces représailles ne sont pas systématiques. La Cour constitutionnelle se place-t-elle au-dessus du président de la République ? Comment a-t-elle pu laisser passer une ordonnance conférant à ses membres des droits égaux à ceux de l’institution ? Comment a-t-elle pu entériner un texte interdisant toute critique de son action ? Même en convoquant l’autorité de la chose jugée, on ne peut s’opposer au libre commentaire de l’action publique. Sauf à faire la promotion de la pensée unique, on ne peut chercher à restreindre l’exercice du droit à la liberté d’expression.
Tout compte fait, cette ordonnance a créé une nouvelle notion : l’offense à la Cour constitutionnelle ou à l’un de ses membres. Pourtant, le droit national reconnait les délits d’injure publique et de diffamation. N’étaient-ils pas applicables en l’espèce ? En mars 2019, la juridiction constitutionnelle se plaignait publiquement des «critiques acerbes, virulentes et outrageantes». Disant être «l’objet d’un acharnement politique (…) visant à (la) déstabiliser (…) et surtout, la personne de son président, Marie Madeleine Mborantsuo», elle brandissait des menaces à l’encontre de ses détracteurs. Jamais elle n’a fait son introspection. A aucun moment, elle ne s’est demandé si elle ne prête pas le flanc et si toutes ces critiques ne se justifient pas. A moins de deux ans de la prochaine présidentielle, la modification de sa loi organique relève d’un processus de bunkérisation. Ni glorieux ni engageant.