Les mésaventures d’une ivoirienne à l’aéroport Léon Mba, le 14 septembre dernier, ont suscité une longue chaîne de solidarité à son égard aussi bien dans son pays qu’au Gabon. La jeune présentatrice, visiblement mal conseillée, a livré sur les réseaux sociaux une version de son refoulement en des termes qui semblent accabler les agents de la Police de l’Air et des Frontières. Il n’en fallait pas plus pour provoquer l’ire des internautes du pays d’Houphouët-Boigny, face à ce qu’ils considèrent comme une violation des Droits de la personne.
Mais jusque là, ils s’agissait d’une simple anecdote dépourvue de tout caractère politique ou diplomatique. Les faits auraient dû être rangés dans la coutume des tracasseries administratives aux frontières internationales et être contenus dans la quotidienneté de la toile. Sauf que de simple anecdote, on est passé à une véritable campagne de dénigrement des institutions de la République Gabonaise. Surtout, une bonne partie de la communauté gabonaise du web a semblé vouloir régler les comptes à sa propre patrie. Pourtant très peu de personnes ont osé élargir leur angle d’analyse. Et si le vrai débat était ailleurs, en posant, par exemple, l’exigence d’une relecture au Parlement des textes qui régissent l’accréditation des journalistes au Gabon.
En effet, les Gabonais du web ont dénoncé avec une rare énergie le rapatriement de Yann Bahou. En méconnaissance de la version officielle, ils ont dressé un portrait peu élogieux de leur pays. Au prétexte de la solidarité africaine, ils ont exprimé tout le mal qu’ils pensent du Gabon et de ses institutions. Sans exiger des preuves à la prétendue victime, ils ont condamné les agents de police affectés à ce service. Un procès inéquitable dans la forme. Car, en l’espèce, rien ne permet d’inculper moralement les forces de Police. Rien surtout ne permet de jeter l’opprobre sur le Gabon, pays à l’hospitalité légendaire tant vantée par feu Omar Bongo Ondimba.
Il ne s’agit pas ici d’une tentative d’occulter la vérité encore moins d’encourager un quelconque laxisme des forces de l’ordre. Souvent, nous avons été les premiers à interpeller leur sens du devoir et à dénoncer leurs déviances. Mais aucune condamnation ne peut prospérer si elle repose sur la mauvaise foi. Mieux, aucune solidarité à l’endroit d’un peuple frère ne doit s’appuyer sur la négation de nous-mêmes, de nos valeurs et de notre identité en tant que peuple. Et si certains croient pouvoir faire de la récupération politicienne, ils se trompent à la fois d’occasion et de tribune. S’acharner sur sa patrie pour si peu est une pure hérésie, si ce n’est de la folie.
Devoir de mémoire
Pour rappel, le Gabon héberge une des plus grandes communautés étrangères d’Afrique subsaharienne. Celle-ci est à majorité composée des peuples frères d’Afrique de l’Ouest dont les ivoiriens. Faut-il le redire ici, ces communautés vivent en parfaite harmonie avec les groupes locaux. Contrairement à ce qui se passe ailleurs, les Gabonais n’ont jamais exprimé ou soutenu de concepts xénophobes. Alors que le slogan de l’ivoirité faisait des ravages ailleurs, le Gabon s’enrichissait et continue de s’enrichir de sa diversité. Jamais une capitale africaine n’a autant incarné le cosmopolitisme que Libreville, cité où les mosquées côtoient les églises en parfaite symbiose.
Certes, nous avons nos tares et nos vicissitudes. Nous avons, comme on dit, notre linge sale à laver en famille. Mais nous devons refuser de céder à la négation de nous-mêmes, à la gabonophobie. L’autoflagellation ne fera que nous contenir dans nos propres limites intellectuelles et nous rendre incapables de poser le vrai débat.
La relecture des textes
Une société qui veut évoluer doit avoir le courage de poser les vrais problèmes. A ce qui semble, le Gabon applique un régime juridique particulièrement contraignant à l’égard des journalistes étrangers. D’ailleurs, il est fort probable que le séjour de la présentatrice ivoirienne ait été compromis par ces lourdeurs en matières d’accréditation. Et ce n’est pas le premier fait en date. Toute chose qui indique qu’il y a des efforts à faire.
En effet, si cet incident peut enseigner, c’est au niveau de la nécessité de reformer nos cadres juridiques. Les textes qui régissent nos frontières doivent faire l’objet d’une relecture par les politiques. A défaut de réformer, il faudra au moins vulgariser et communiquer lorsque cela est nécessaire. Quoi qu’on dise, les commentaires autour du témoignage de Yann Bahou ont porté atteinte à l’image du Gabon en tant que pays des libertés. Ignorer cela serait une grave erreur dans un monde où la communication est au centre de toutes les batailles. A moins de vouloir prêter le flanc à nos détracteurs. Dans tous les cas, le Gouvernement se doit de réagir pour rétablir la vérité et envisager l’avenir du texte à l’origine de la controverse.
Michel Ndong Esso, Analyste politique, Enseignant de philosophie, a soutenu une Maîtrise en philosophie politique (Paix et Guerre) à l’Université Omar Bongo. Diplômé de l’Ecole Normale Supérieure, il enseigne la philosophie au Lycée National Léon Mba. Ancien consultant à l’émission Ici l’Afrique sur Gabon 24, il est auteur de plusieurs articles à caractère politique et social.