L’archidiocèse de Libreville a démarré, il y a une quinzaine de jours, une «phase d’expulsion des «occupants sans titre ni droit de la Vallée Sainte-Marie». Si l’opération suscite incompréhensions et interprétations diverses, l’abbé Serge Patrick Mabickassa, coordonnateur des médias catholiques, a échangé sans langue de bois avec Gabonreview, le 8 septembre, sur ce dossier.
Gabonreview : L’Église a lancé depuis peu le déguerpissement des «squatters» du domaine foncier de l’Église. Que se passe-t-il réellement?
L’abbé Serge Patrick Mabickassa : Nous vivons depuis un moment une espèce de réappropriation des espaces de notre titre foncier. Il y a quelques années, sous Monseigneur Basile Mve Engone, le Boulevard Bessieux, dans sa gauche, lorsqu’on part de la Primature pour rejoindre l’avenue Jean Paul II, avait le «Boulbess» et tout le monde venait manger le poisson là, le soir. Mais aujourd’hui, il y a d’autres bâtiments. C’est notre terrain qui continue jusqu’à Bessieux, jusqu’au Foyer de charité.
Avec l’Etat, nous avons vu comment reprendre notre titre foncier parce qu’on ne l’avait cédé à personne. Les gens s’étaient installés-là. Le ministère des Finances voulait construire deux tours, cela a permis le déguerpissement de cette zone et aujourd’hui, il y a de nouveaux occupants en contrat avec le diocèse. En plein dans la vallée, nous avons aussi d’autres espaces occupés de manière anarchique parce que les occupants n’ont reçu aucune cession du Conseil d’administration du diocèse, mais se sont installés. Soit c’était un gardien, soit c’était un cuisinier habitant là et les enfants ont construit sans aucun contrat. A plusieurs reprises, aussi bien Monseigneur Basile, prédécesseur de Monseigneur Iba-Ba, avait avisé que nous allons casser. Aujourd’hui, on arrive à cette phase qui a été réaffirmée depuis l’année dernière. Les gens ont dit : c’est l’église il ne va rien se passer. Le procureur de la République a été saisi par l’archevêché pour aviser. Des rencontres ont eu lieu entre les occupants et l’huissier chargé du dossier. Des notes ont été données. Par exemple, à deux pas de chez moi, il y avait un boutiquier et il lui a été signifié qu’il devait partir. Il a déménagé, il a laissé certaines choses, mais il lui a été signifié qu’il y aurait la casse de la structure qu’il animait. Il fallait donc qu’il déménage.
Il se raconte que votre aire est confrontée à des problèmes d’insécurité ?
Nous ne sommes pas mus par le problème d’insécurité. Nous sommes propriétaires et nous prenons nos terres, nos espaces pour les valoriser. Maintenant, il y a la question de l’insécurité. Il y a deux ans, nous avons perdu une sœur, une religieuse. C’est un jeune, actuellement à la prison centrale, qui a perpétré ce crime. Il habitait dans la Vallée. Il y a bien d’autres faits qu’on peut remarquer dans la Vallée à l’exemple des braquages, des casses et même des vols en plein église. Tout cela, nous le vivons et ils ne viennent pas de loin, ceux qui font cela ou qui ont fait cela. On ne peut pas continuer comme cela. Ce jeune qui a tué la sœur habitait une maison de l’église et il rendait services dans la maison où habitait la sœur. Voici autant de faits qui nous font dire qu’il faut réorganiser notre espace.
Certains occupants soutiennent qu’ils ont obtenu l’autorisation de Monseigneur Anguilé. Ce qui veut dire qu’ils ont plus de 30 ans sur ces terrains. Au regard de la loi, après tout ce temps, ne deviennent-ils pas propriétaires ?
Ils ne peuvent pas être propriétaires sur un titre foncier qui n’est pas un bien de Monseigneur Anguilé. Je suis le responsable des médias catholiques, ce bureau qui m’est confié par l’évêque n’est pas mon bureau. Il est mon bureau dans la charge qui m’est confiée. Aucun évêque n’est éternel à son poste, puisqu’à 75 ans, tous les catholiques démissionnent. Ce bien est donc celui du diocèse. Il n’est pas le bien familiale de Monseigneur Anguilé. Ils ne peuvent pas se réclamer héritiers de Monseigneur Anguilé sur un bien de l’église.
Comparaison n’est pas raison, à supposer que monsieur Mabickassa qui est mon père a été préfet de Malinga. A Malinga, mon père meurt : est-ce que la maison du préfet de Malinga est la maison de la famille Mabickassa parce que monsieur Mabickassa y est décédé en étant en fonction ? Cette maison qui appartient à l’Etat est le bien de l’Etat. Au terme du service, si le gouverneur a estimé qu’ils peuvent encore résider dans cette maison parce que l’année est en cours, les enfants Mabickassa ne peuvent pas réclamer cette maison en disant qu’elle est à leur père. Elle est une maison de fonction. Ces gens, pour certains, ont reçu de l’évêché une maison, parce que leur père était cuisinier à l’évêché, mais le papa étant déjà mort, les enfants restés se sont même donnés le luxe de vendre certains espaces autour de la maison à d’autres. Ce n’est pas la faute de l’église. L’église dit : vous devez partir et cela leur a été signifié.
L’Église propose-t-elle une solution de rechange ou un accompagnement à ces personnes ?
Non! Ils ont été reçus par l’église et elle leur a demandé de quitter ces lieux. Parce que quand ils ont continué à arranger des maisons ou quand l’évêque a dit : «ne construisez pas en dur», c’était du provisoire. On ne peut pas dire à l’évêque qui est venu après que «pour que nous puissions partir, il faut nous donner une terre. Il faut nous rembourser ce que nous avons investi». Vous n’avez pas investi en disant que vous avez un contrat avec l’évêque. C’est cette situation que nous vivions et qui n’est pas nouvelle. J’étais autrefois curé de la paroisse Saint-croix d’Alénakiri et nous avons un titre foncier à Alénakiri sur la colline sur laquelle l’église est devenue exiguë. Mais c’était le terrain de l’église. Un catéchiste a été installé là pour pouvoir enseigner le catéchisme. Mais après, ses enfants sont nés-là et pensent que le terrain leur appartient parce que leur papa était là. Or, l’église a été une bienfaitrice en les accueillant. Et ce terrain est un bien de l’église.
Dans votre espace sont installés le projet d’un centre centre commercial lancé par la SCi Les Trois rivières, coté avenue Jean Paul II, et en face un parc d’attraction et de loisirs. Ces espaces appartiennent-ils toujours à l’Église ?
Ils sont sous bail comme là où était dernièrement l’Assemblée nationale. C’est le terrain de l’église. Il y a un bail signé avec le propriétaire de cet immeuble. A ceux qui le veulent, il leur est signifié qu’ils doivent signer un bail avec l’église ; mais pas faire un bras de fer pour dire qu’ils ne partent pas, qu’ils ont été installés et c’est pour eux. Non ! Ceux que vous voyez-là, comme Géant CKdo, sont sous bail avec l’église.
Quelles sont les délimitations réelles des terres de l’église ? Pouvez-nous décliner quelques repères permettant d’en imaginer le pourtour ?
L’archevêché de Libreville part du Port-Môle jusqu’à la gare routière et de la gare routière, on va jusqu’à l’ancienne RTG et on revient jusqu’à Sainte-Marie. Maintenant, avec l’Etat, puisque qu’il est propriétaire de la terre, il s’est donné de négocier pour avoir sur le titre foncier des espaces pour les biens communs. Ça été le cas du boulevard Bessieux.
Les archevêques en ce temps, ont laissé et tout récemment, le ministre Bilie-By-Nze, alors ministre de la Culture, voulait faire un projet après le collège immaculé. Cela a été négocié avec l’évêché pour voir comment l’évêché allait faire la cession pour que nous puissions enlever du titre foncier ces espaces qui devenaient des espaces pour bien commun. Nous avons, par exemple, l’école Martine Oulabou. Elle est sur le titre foncier de l’église, mais a été enlevée au titre d’un bien commun : l’éducation de la jeunesse. Il fallait une école publique à côté des écoles catholiques qui sont là. Nous avons un titre foncier qui est notre et nous le faisons valoir.
Que ferez-vous des particuliers qui s’y retrouvent, de la gare routière à la RTG ?
Il y a des particuliers qui se sont installés, comme je le disais, soit en travaillant à l’église et qui se sont vus donner une maison qu’ils n’ont pas seulement améliorer, mais ils ont aussi pris le soin de prendre un espace plus grand en le cédant à d’autres. Mais, ils ne sont pas propriétaires de ces espaces. Nous disons à ces derniers que : «vous avez peut-être donné de l’argent à ces personnes, mais nous ne connaissons pas cela». On n’a pas aliéné cette partie de notre titre foncier et en ce moment, nous voyons le contrat ou nous demandons de partir parce que nous avons des projets sur ces espaces.
Au regard des interprétations que suscite l’opération de déguerpissement, et parce qu’elle vient de l’Église, quel message avez-vous pour l’opinion ?
L’opération va se poursuivre. Les institutions chargées de réguler le vivre-ensemble en sont informées. Les personnes vivant sur notre titre foncier, de manière abusive, ont été aussi accueillies à l’évêché et entendues. Elles savent que nous allons passer pour libérer, non pas les trottoirs, mais notre espace que nous allons mettre en valeur sous peu. Nous avons commencé et nous allons continuer l’opération. Les casses ont commencé il y a 15 jours, le mois dernier, mais les personnes savent depuis deux ans maintenant, qu’elles doivent quitter ces lieux.