Le patron de la Coalition pour la Nouvelle République (CNR), qui se considère toujours comme le leader naturel de l’opposition, a peu goûté la récente tournée pré-électorale à l’intérieur du pays du président du Rassemblement pour la Patrie et la Modernité (RPM).
Sur les bords de la piscine dans son QG du quartier des charbonniers dans le premier arrondissement de Libreville, Jean Ping ne décolère pas. « C’est d’un œil mauvais qu’il a suivi les tribulations d’Alexandre (Barro Chambrier) dans le Haut-Ogooué », confie, volontairement péjoratif et moqueur, l’un de ses proches.
La semaine dernière, le leader du RPM s’est rendu dans cette province du sud-est gabonais, considérée comme un bastion inexpugnable de la majorité. Si ce déplacement n’a pas eu pour Barro Chambrier le succès escompté (lire notre article), il lui a toutefois permis d’atteindre son véritable objectif : montrer que c’est lui désormais, qui incarne l’avenir de l’opposition.
Car, et ça n’est un secret pour personne, l’ex-ministre des Mines du président Ali Bongo Ondimba, qui a rejoint l’opposition par opportunisme (ou « carriérisme » comme disent ses détracteurs), ne considère plus Jean Ping comme celui capable de venir challenger le candidat de la majorité lors d’une élection présidentielle.
« Ping est trop âgé pour se représenter en 2023 »
« Jean Ping est trop âgé pour se représenter en 2023 », a-t-il confié à plusieurs de ses proches fin juin dernier, ajoutant qu’il fallait désormais « passer à autre chose » (lire notre article). Le leader de la CNR aura 81 ans en 2023 alors que, lui, n’en aura « que 65 », se plait-il à souligner. « Il est persuadé que l’avenir lui appartient », témoigne un responsable du bureau politique des Démocrates, le parti de Guy Nzouba-Ndama.
Au-delà, ce que reproche Barro Chambrier à Ping, c’est sa stratégie, ou plutôt son absence de stratégie depuis l’élection perdue de 2016. « Pour Jean Ping, le temps semble s’être arrêté en 2016. Il est incapable de concevoir l’après. Le fait de ne pas vouloir participer aux législatives de 2018, par exemple, a été une grande erreur. Comme le fait de ressasser en permanence qu’il faut rétablir la vérité des urnes et d’en faire l’alpha et l’oméga de tout projet politique. A deux ans de la prochaine présidentielle, cela fait longtemps que les Gabonais, qui attendent autre chose de l’opposition que cette attitude nombriliste, ont tourné la page de la précédente », explique l’un des soutiens de Barro Chambrier.
Secrètement, dans l’entourage du président du RMP, on se réjouit de la vague de départs autour de Jean Ping. René Ndemezo’o Obiang, Frédéric Massavala, Féfé Onanga, Jean Eyeghe Ndong… ont tous tourné le dos au leader de la CNR en l’espace de quelques mois. Un coup rude qui n’est pas pour déplaire au clan Barro Chambrier. « Objectivement, pour nous, ça n’est pas une mauvaise nouvelle », concède, dans un sourire entendu, un des lieutenants de Barro Chambrier.
« Ces départs ont renforcé la position de Barro Chambrier au sein de l’opposition », confirme ce professeur en science politique de l’UOB. « Ils démontrent en effet, de manière empirique, que Jean Ping n’a plus la capacité centrifuge, c’est à dire d’attraction vis-à-vis des autres leaders de l’opposition qu’il avait il y a quelques années et qui a culminé avec sa candidature à la présidentielle de 2016 à laquelle tous les grands leaders de cette partie de l’échiquier politique ont fini par se rallier », explique le politologue.
« Comment Barro Chambrier, qui a été incapable de se faire élire député dans le 4ème arrondissement de Libreville, peut-il espérer devenir président du Gabon ? »
Du côté de Jean Ping, ses soutiens ont de plus en plus de mal à cacher leur agacement. Et on se réjouit, en privé, de l’accueil confidentiel réservé au candidat du RPM dans le Haut-Ogooué. « Cela montre que Barro Chambrier n’est pas un leader national », veut croire l’un des proches du patron de la CNR. « Comment quelqu’un qui n’a pas été capable de se faire élire député dans le 4ème arrondissement de Libreville, alors même que son père lui a offert ce siège sur un plateau, peut-il espérer devenir président de la République du Gabon ? », raille un autre.
La semaine dernière, lorsqu’Alexandre Barro Chambrier a tenté de monter en épingle le prétendu « incident » d’Okondja (lire notre article), Jean Ping s’est bien gardé, contrairement à d’autres figures de l’opposition qui ont rué dans les brancards, de lui apporter son soutien. En revanche, le leader de la CNR n’a pas manqué de marquer sa solidarité vis-à-vis de Jean Pierre Lemboumba dont la maison est partie en fumée le 23 août dernier à Okondja dans des circonstances qui, nonobstant les spéculations et rumeurs les plus folles, demeurent à élucider.
Même si à l’évidence, la dynamique n’est plus en faveur de Jean Ping, le temps faisant son œuvre, le vieux leader de l’opposition ne compte pas pour autant rendre les armes sans combattre. Secrètement, il espère encore pouvoir « jouer le match retour » de 2016 en se présentant contre le président Ali Bongo Ondimba, comme il le répète à ses visiteurs. « Ce serait l’aboutissement logique d’une carrière politique bien remplie. Un moyen de sortir par la grande porte », explique, avec une ferveur quasi-religieuses, un de ses conseillers en communication.