L’incendie de la résidence de Jean-Pierre Lemboumba-Lépandou et les stratagèmes déployés en vue de saboter la tournée d’Alexandre Barro Chambrier contribuent à nourrir la haine interpersonnelle, élargissant les lignes de fracture entre communautés.
Comme l’incendie de la résidence de Jean-Pierre Lemboumba-Lépandou, les stratagèmes déployés en vue de saboter la tournée d’Alexandre Barro Chambrier sont intolérables. On peut ne pas aimer l’ancien ministre des Finances. On peut ne pas apprécier son positionnement politique ou son soutien à Jean Ping, On peut tout autant ne pas se sentir concerné par les ambitions du président du Rassemblement pour la patrie et la modernité (RPM). On peut même être insensible à son discours et à sa démarche. Mais, les événements de ces derniers jours sont d’une extrême gravité. Attentatoires aux libertés individuelles, ils ne sont pas seulement de nature à nourrir la haine interpersonnelle. Ils peuvent aussi contribuer à élargir les lignes de fracture entre communautés. Pour freiner l’expansion des idées séparatistes, il convient de dénoncer ces pratiques aux antipodes de la République et de la démocratie. Sans se lasser, il faut réaffirmer les fondamentaux : à l’instar des autres provinces, le Haut-Ogooué n’est ni un château fort ni une province entièrement à part ; comme les autres villes, Okondja n’est ni un donjon ni une citadelle.
Rappel historique
Dans son dernier message à la nation, le président de la République indiquait : «Être patriote c’est communier dans la fraternité avec ses concitoyens. Les respecter, prendre soin d’eux (…)» Ali Bongo ne peut avoir tenu de tels propos et rester insensible à de tels dérapages Or, ni lui-même ni le Premier ministre ni le secrétaire général du Parti démocratique gabonais (PDG) ne sont exprimés, à ce jour. Par ce silence assourdissant, ils laissent le sentiment sinon de légitimer, du moins de soutenir les délinquants présumés. Au-delà, ils donnent l’impression de chercher à maintenir leur hégémonie sur le Haut-Ogooué, à y cadenasser le jeu politique voire à y empêcher toute expression démocratique. Après tout, lors des présidentielles de 2009 et 2016, cette province servit, à son corps défendant, de variable d’ajustement aux résultats électoraux. Les dérapages de ces derniers jours préfigurent-ils l’ambiance de la présidentielle de 2023 ? On a grand-peine à se le dire.
Pour l’heure, une réaction alimente le soupçon : celle du ministre de la Décentralisation. Dans un audio devenu viral, il présente Alexandre Barro Chambrier comme un «invité indésirable», ordonnant aux structures locales du PDG de ne pas «s’attrouper au passage de ces gens-là.» Au passage, il promet faire le déplacement pour voir «comment (…) appuyer ça.» Malgré la pluie de condamnations, l’homme se défend de tout mépris envers ses semblables. Selon lui, «dans (l’) environnement (politique) toute activité adverse est naturellement indésirable». Mieux, ses consignes avaient pour but de «contenir ses troupes» afin d’«éviter des incidents.» Si on a envie de le croire, on doit surtout l’inviter à méditer ce propos de Guy Nzouba-Ndama : «Il ne saurait exister des zones interdites à une catégorie d’acteurs. Le Gabon est un et indivisible.» On songe même à lui adresser ce rappel historique : en août 2016, durant l’assaut contre le quartier général de Jean Ping, le ministre de la Défense se nommait… Mathias Otounga Ossibadjouo.
La parole d’Ali Bongo attendue
Le zèle partisan du ministre de la Décentralisation ravive de douloureux souvenirs. S’il n’y avait pas eu fuite, l’homme se serait prévalu d’avoir dénoncé des «agissements rétrogrades.» Il se serait gargarisé d’avoir qualifié la tournée d’Alexandre Barro Chambrier d’«acte républicain» n’appelant «aucune effusion de violence.» Hélas, sa pensée profonde est désormais connue de tous. Dans la forme comme dans le fond, son audio va à rebours de sa réaction publique. Dans un tel contexte, le mutisme de sa hiérarchie n’est pas pour apaiser les tensions. Encore moins conjurer les peurs. Bien au contraire. Comme le martèle Marc Ona Essangui, le président de la République «ne peut pas avoir (appelé à l’) unité (…) et laisser les (militants) de son parti agir (de la sorte)» C’est dire si la parole d’Ali Bongo est fortement attendue. C’est aussi dire s’il a, là, l’occasion de préciser sa conception du civisme, défini par lui-même comme une «valeur fondamentale», la «condition du vivre-ensemble» et le «ciment d’un seul et même peuple.»
Le discours du 16 août dernier deviendra-t-il une péripétie sans lendemain, une incantation sans prise sur le réel ? On veut croire le contraire. Certes, la perspective d’une élection majeure induit toujours le risque de perdre des privilèges. Mais, ni la préférence partisane ni l’ethnisme et le régionalisme, encore moins la violence, ne sauraient y trouver justification. Malgré leurs imperfections, la démocratie et la République demeurent encore la meilleure protection des droits et libertés. En dépit de son appartenance partisane, le président de la République conserve une fonction tribunitienne.