Le pouvoir aurait grand tort de tout miser sur le débauchage de membres de la Coalition pour la nouvelle République (CNR). Il commettrait une erreur d’appréciation en essayant d’empêcher tout débat en son sein.
Au sein de la majorité, les dernières sorties d’Alain-Claude Bilie-By-Nze n’ont visiblement pas été du goût de tout le monde. « Il y a de la clameur dans le ciel lorsqu’un enfant revient dans la maison du Père. Saluons donc le retour de toutes ces personnalités, mais n’oublions pas de lire ou de relire le Cheval de Troie », a écrit le ministre de l’Énergie et des Ressources hydrauliques, quelques jours après le retrait de Jean Eyéghé Ndong de la Coalition pour la nouvelle République (CNR). « Avant la chute de Rome, les Romains étaient sûrs (…) que leur monde durerait toujours sans de grandes mutations. Nous serions bien sages de ne pas imiter leur certitude », a-t-il ensuite ajouté. Il n’en fallait pas plus pour déclencher une polémique, susciter des accusations de toutes sortes l’ayant contraint à préciser : « Des interprétations erronées ont voulu présenter mon (..) tweet comme une interpellation publique au Président #ABO. Il n’en est rien. »
Mise en garde
Venant d’un baron du pouvoir en place, ces écrits semblent effectivement inhabituels. Mais, le cheval de Troie étant selon la mythologie grecque une sorte de cadeau empoisonné, les néo transfuges de l’opposition peuvent-ils être perçus comme un cadeau de Jean Ping à Ali Bongo ? Pas sûr. Du coup, les écrits d’Alain-Claude Bilie-By-Nze ne peuvent servir de prétexte à une chasse à courre, encore moins à des condamnations sans appel. Dans un environnement où le débat est libre et contradictoire, ils doivent au contraire être perçus comme une piqûre de rappel destiné à ses frères d’armes. Et pour cause : naviguant en eaux troubles depuis le déclenchement des ennuis de santé d’Ali Bongo, la majorité peine à indiquer un cap voire à mobiliser la population autour d’un dessein collectif. Tout se passe comme si l’appareil d’Etat ne s’est jamais remis de l’intermède Brice Laccruche-Alihanga, marqué par des transgressions en tout genre. Or, pendant ce temps, une partie de l’opposition s’organise, occupe le terrain : chacun selon son agenda, Alexandre Barro Chambrier et Paulette Missambo sillonnent actuellement l’arrière-pays. Face à ce branle-bas de combat, les gouvernants doivent-ils continuer à se bercer de la certitude que rien ne peut les ébranler ni mettre à mal leur position actuelle ?
Alors que la pandémie du Coronavirus et la chute des cours du pétrole ont durement touché l’économie nationale, détérioré ses positions budgétaires, augmenté les taux de chômage et de pauvreté, le pouvoir doit-il dormir sur ses lauriers ? Est-ce bien responsable à deux ans d’une élection présidentielle, échéance majeure s’il en est ? Le pouvoir aurait grand tort de tout miser sur le débauchage de membres de la CNR. Il commettrait une erreur d’appréciation en essayant d’empêcher tout débat en son sein. Même si le ton peut surprendre, quand bien même le moment peut sembler peu propice, Alain-Claude Bilie-By-Nze l’invite au sursaut. Il lui recommande de ne pas dormir sur ses lauriers. En clair, son message est une mise en garde, un appel au ressaisissement et au travail.
Il faut libérer les énergies
Si faute il y a, elle est à rechercher du côté des adversaires du débat et de la démocratie interne. S’en prendre au ministre de l’Énergie et des Ressources hydrauliques, c’est refuser d’écouter le message tout en condamnant le messager. C’est aussi fuir ses responsabilités en refusant de regarder la réalité en face. N’en déplaise aux zélotes, l’heure n’est pas au renforcement des certitudes ou à l’autosatisfaction. Elle est plutôt, conseille Bilie-By-Nze, à «la vigilance et à la mise en œuvre diligente des réformes édictées par le Chef de l’Etat. » C’est connu : tout système contient en lui-même les germes de sa propre destruction. N’y a-t-il pas, au cœur de l’appareil d’Etat, des agents autodestructeurs ? Que penser de nombreuses décisions impopulaires prises à la va-vite, sans étude ni évaluation préalable ?
En l’espèce, le mutisme ne peut être tenu pour un gage de loyauté au Parti démocratique gabonais (PDG) ou au président de la République. Il doit plutôt être vu comme la traduction d’une absence d’esprit d’initiative, le signe d’un déficit de sens politique et de culture démocratique. Autrement dit, au lieu de les bâillonner ou de les inviter au suivisme aveugle, il faut libérer les énergies, leur demander de s’exprimer et d’esquisser des solutions de sortie de l’atonie actuelle. Faire taire toute voix discordante ? C’est exactement ce que le pouvoir ne doit pas faire s’il veut se donner une chance de remettre le pays en mouvement.