Si l’on reconnaît l’existence d’une opposition, on ne peut refuser à ses militants la jouissance de leurs droits. Pourquoi certains doivent-ils subir des privations et vexations au nom de leurs idées ?
Les récents ralliements à la majorité présidentielle ou, plus directement, les dernières adhésions au Parti démocratique gabonais (PDG) apportent-ils quelque chose au débat public ? Participent-ils d’une évolution de la pratique politique ? Relèvent-ils d’une nouvelle conception de la gestion de la cité ? Traduisent-ils un engagement au service d’une ambition nationale ? Naguère, Paul Biyoghé Mba et Louis-Gaston Mayila avaient sabordé leurs formations politiques pour rejoindre le PDG avec armes et bagages. Jadis, Paul Mba Abessole s’était rapproché d’Omar Bongo Ondimba, créant opportunément la notion de «majorité républicaine.» Avaient-ils pour autant fait bouger les lignes ? Avaient-ils contribué à une amélioration de la gouvernance ou à une meilleure prise en compte des attentes du peuple ? Personne n’aurait l’outrecuidance de l’affirmer.
Lourde responsabilité dans la faillite morale
Pourtant, des remakes de ces vaudevilles se tournent depuis quelques semaines. Comme toujours, des partisans du pouvoir s’en félicitent, au point de tomber dans une grandiloquence hors de propos. Refusant de mettre les faits en perspective, ils y voient une adhésion à une «offre politique», jugée pertinente. Se gardant de tirer les leçons du passé, ils vantent une supposée capacité de rassemblement. A un peu plus de deux ans de la prochaine présidentielle, cet enthousiasme peut s’entendre et s’expliquer. Il peut même paraître respectable et admissible. Mais, il ne peut ni se comprendre ni se justifier. Au-delà, il n’est ni honorable ni légitime. Dans les régimes pluralistes, les partis au pouvoir ont la responsabilité de conduire la politique nationale, par l’entremise de leurs militants appelés au gouvernement ou siégeant au Parlement. Ils ont, de ce fait, un rôle prépondérant dans l’animation du débat politique, la structuration de l’opinion publique et l’enracinement de la démocratie.
Au pouvoir depuis plus d’un demi-siècle, le PDG porte une lourde responsabilité dans la faillite morale du pays. Depuis toujours, il a entretenu la confusion entre son patrimoine et celui de l’Etat, en usant au gré de ses seuls intérêts. Il a, tout autant, profité de sa position pour en imposer aux autres, transformant des droits acquis en prébendes distribuées à la tête du client. Election après élection, il s’est opposé à la transparence, rusant avec les lois et institutions. Année après année, il s’est mis au travers du processus de construction d’un Etat républicain, refusant de clarifier les modalités de financement de la vie publique. Au final, il a établi une règle, pour le moins curieuse et antidémocratique : s’engager dans l’opposition équivaut à renoncer à ses droits, civils et politiques, économiques, sociaux et culturels. Plus prosaïquement, cela revient à accepter d’être privé de tout, mis au ban de la société voire devenir un citoyen de seconde zone.
La loi de la jungle
Selon la doctrine PDG, trois options s’offrent aux militants de l’opposition : se rendre, souffrir en silence ou «attendre leur tour.» Tout le reste relève de la politique. Peut-on se résoudre à une telle conception ? Non. La République ne se ramène pas à la négation des droits d’autrui. En République, les citoyens sont égaux en droit, à l’exclusion de toute autre considération. En démocratie, l’action publique doit se conformer à la volonté générale. La loi du plus fort ? Ce n’est pas la démocratie : c’est plutôt la loi de la jungle. Peut-on organiser notre société à la manière de la faune sauvage ? Si l’on reconnaît l’existence d’une opposition, on ne peut refuser à ses militants la jouissance de leurs droits. Pourquoi certains doivent-ils subir des privations et vexations au nom de leurs idées ? Parce qu’ils ne détiennent pas le pouvoir politique ? Mais, le pouvoir politique s’exerce dans l’intérêt tous. Quand il est utilisé de façon à nuire à autrui, on tombe dans la tyrannie ou la dictature.
En poussant les gens à abjurer publiquement leurs idées, le PDG ne rend service à personne, même pas à lui-même. Ni sa capacité de mobilisation ni ses options stratégiques n’y gagnent. Parti au pouvoir, il se condamne à faire de la politique politicienne, éludant le débat sur les politiques publiques. Au lieu de nourrir les échanges sur les moyens de mettre les forces vives en mouvement, il s’adonne à un chantage d’un autre temps. Pour son plus grand malheur et celui du pays tout entier, il se coupe, chaque jour un peu plus, des populations. Dommage…