De prime abord, l’ambition ne manque ni d’allant ni de générosité. Mais, on peut se demander si le Fonds monétaire international (FMI) a tenu compte du contexte ou s’il s’est contenté de reproduire des recettes éculées voire d’accorder une prime à la mal gouvernance.
D’une certaine manière, le gouvernement a repris la même antienne : les programmes conclus avec le Fonds monétaire international (FMI) récompensent ses efforts, ouvrent la voie à une croissance inclusive. Réagissant à l’accord conclu, le 28 juillet dernier, la Première ministre n’y est pas allée avec le dos de la cuiller. Pour elle, «cette décision vient consacrer le long et méritoire travail (…) de (son) gouvernement.» Mieux, «elle constitue une marque de confiance (…) dans la capacité du Gabon à réformer et transformer son économie pour la rendre plus compétitive et créatrice d’emplois.» Autrement dit, à l’horizon 2023, les populations peuvent espérer une amélioration des capacités nationales de production. De même, elles peuvent s’attendre à une réforme en profondeur du marché du travail et du mécanisme de protection sociale. Promesses mirobolantes…
Gouvernance hérétique
De prime abord, l’ambition ne manque ni d’allant ni de générosité : «améliorer la gouvernance et la transparence afin d’accroître les recettes intérieures, y compris dans les secteurs pétrolier et minier», l’objectif final étant de favoriser les investissements et autres dépenses sociales. Au-delà des mots, on peut s’interroger sur la sincérité de ce discours convenu. On peut se demander si le FMI a tenu compte du contexte ou s’il s’est contenté d’une analyse de salon, au risque de reproduire des recettes éculées ou d’accorder une prime à la mal gouvernance. On peut, tout autant, se poser des questions sur la capacité du gouvernement à adapter sa réponse à la réalité. N’en déplaise à Mitsuhiro Furusawa et à Rose Christiane Ossouka Raponda, la covid-19 n’est ni la première cause de mortalité au Gabon ni la principale menace sanitaire pour les populations. Pis, ce prêt de 553,2 millions de dollars (environ 305 milliards de francs CFA) vient surcharger la barque de la dette.
En annonçant des réformes allant dans la sens de la «réduction de la vulnérabilité de la dette» et du «renforcement de la gouvernance», le FMI et le gouvernement sont tombés dans la politique de l’autruche. Autrement dit, ils ont fait comme si la situation actuelle n’était pas la conséquence d’une gouvernance hérétique. Depuis 12 ans maintenant, le gouvernement n’a de cesse d’œuvrer à un changement de la structure de la dette. Au vu et au su du gendarme de la finance mondiale, il a pris ses distances avec les créanciers traditionnels, émettant des obligations souveraines à tout-va, s’ouvrant aux prêteurs commerciaux et autres banques privées. Malgré les mises en garde de nombreux acteurs politiques ou sociaux, il a maintenu sa stratégie de l’endettement sans limite et à des fins inconnues. Comme le note l’analyste financier Mays Mouissi, sur la seule année 2020 «le gouvernement (…) a endetté (..) (le Gabon) de 1. 081 milliards FCFA supplémentaires nets.»
Chat échaudé…
Au lieu d’encourager l’exécutif à «emprunter pour rembourser», le FMI aurait été plus pertinent en l’incitant à mettre en œuvre des réformes adaptées au contexte. Sur la circulation de l’information, la gestion des risques, la lutte contre les préfinancements ou l’évaluation des politiques publiques, l’institution de Bretton Woods aurait pu être d’un apport important. Sans nier la souveraineté du Gabon, elle aurait pu s’attacher à ancrer quelques principes cardinaux dans la pratique administrative : transparence, responsabilité et durabilité. Loin de jouer les Cassandre, «le renforcement du système bancaire» ne contribuera ni à la lutte contre les capitaux toxiques ou le shadow banking ni à une meilleure coordination entre prêteurs et, encore moins, à un dialogue fécond avec l’emprunteur. Ne pouvant être assimilé à une remise à plat des régies financières, notamment les Douanes et les Impôts, «le renforcement du cadre de lutte contre la corruption» ne créera pas les conditions d’une meilleure collecte des recettes. Ce projet ne permettra pas non plus de faire la lumière sur les exonérations fiscales accordées à certains investisseurs.
Pour autant, à en croire le directeur général adjoint et président intérimaire du FMI, cet accord vise à «sauver des vies et des moyens de subsistance.» Pour ce faire, «l’accent sera mis sur la résolution des problèmes structurels (…) afin de placer la dette publique sur une trajectoire (…) baissière et de favoriser une croissance forte, durable, verte et inclusive (…)» On voudrait y croire. Mais, chat échaudé craignant l’eau froide, on cherche à savoir de quelles garanties Mitsuhiro Furusawa s’est-il doté pour être aussi péremptoire. En tout cas, on prend date : sauf improbable changement de pratique politique, ce prêt n’améliorera en rien les conditions de vie des Gabonais.