La loi instituant des mesures spécifiques incitatives pour le rapatriement des capitaux ne s’intéresse guère au mécanisme d’acquisition de ces biens. En conséquence, elle pourrait nuire à l’image du pays.
Scandale après scandale, année après année, mesure après mesure, la corruption rythme la vie publique. Sans s’en rendre compte et à la stupéfaction générale, le gouvernement vient de relancer le débat y relatif. Reconnaissant indirectement avoir favorisé les détournements de deniers publics, il a initié une «loi instituant des mesures spécifiques incitatives pour le rapatriement des capitaux.» Sont concernées, les «personnes physiques ou morales (ayant) commis des faits constitutifs de violation des textes régissant l’acquisition, le transfert, la conservation ou le placement à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire national, de ressources en devises nationales ou étrangères.» Autrement dit, pendant une année, les individus ou sociétés-écrans soupçonnées d’enrichissement illicite auront le loisir d’injecter le produit de leurs rapines dans l’économie nationale. En contrepartie, elles seront exemptées du paiement de certains impôts.
Légalisation de pratiques criminelles
Selon ses propres termes, cette loi vise à promouvoir «l’investissement national.» N’empêche, il s’agit d’une curieuse technique de levée des fonds. A l’évidence, ce texte ne peut être tenu pour un instrument de lutte contre la criminalité financière. Bien au contraire. Il peut être présenté comme la preuve de la légalisation de pratiques criminelles. Au-delà, il peut être assimilé à un encouragement. Ainsi, les «sommes, avoirs, capitaux et devises, domiciliés sur le territoire national ou (en dehors), dont l’origine de l’enrichissement est le Gabon» seront «amnistiés fiscalement.» Et tant pis si les biens en question ont été acquis de manière illégale ! Tant pis si le bénéficiaire a eu recours à la fraude, à l’optimisation fiscale, à la falsification de données, à la contrefaçon ou au vol d’identité ! Tant pis s’il a fait main basse sur les fonds publics, au point d’entraver la réalisation de projets d’intérêt collectif !
Pour sûr, la ministre de l’Économie rappellera l’obligation faite aux bénéficiaires de s’acquitter d’un «prélèvement libératoire (…) inférieur (ou égal) à 40% des sommes rapatriés.» Elle mettra en avant la «signature (préalable) d’un accord transactionnel entre l’État (…) et le bénéficiaire.» Elle reviendra sur la possibilité de révoquer ces «avantages fiscaux.» Mais ces précautions ne constituent pas un mécanisme d’atténuation des impacts de la criminalité financière. Sur la gouvernance politique comme sur le développement économique ou le progrès social, cette pratique a des conséquences dommageables. Les populations peuvent-elles avoir confiance dans des institutions soupçonnées de protéger les criminels en col blanc ? Est-ce la meilleure façon de les pousser à croire en la justice de leur pays ? Est-ce une manière de protéger leurs droits économiques, sociaux et culturels ? Ou de les inviter à s’impliquer dans la mobilisation des ressources ?
Précédents historiques
Peu importent les justifications de Nicole Jeanine Lydie Roboty-Mbou, les incitations fiscales ne peuvent être la réponse à ces questions. Pris séparément, l’État gabonais n’a pas les moyens de lutter efficacement contre la criminalité financière. Sur bien des points, notamment le contrôle des flux en provenance des paradis fiscaux, l’assistance de la communauté internationale peut lui être d’une grande utilité. Or, la délocalisation des profits, le secret bancaire, la primauté de l’intérêt particulier et la faible pression fiscale sont, justement, caractéristiques des paradis fiscaux. Dès lors, on s’en doute un peu : pour l’essentiel, les «sommes, avoirs, capitaux et devises» concernés proviendront de tels endroits. Le Gabon peut toujours prétendre vouloir tondre la laine sur le dos de ces pays ou territoires aux régimes juridiques spéciaux. Mais il n’a rien à gagner à se substituer à eux. Il n’a pas non plus vocation à leur ressembler. En s’entêtant, il perdrait énormément, notamment du point de vue de l’image.
Pour ne pas nuire à la réputation du pays, le gouvernement doit à appliquer cette loi dans la transparence et la responsabilité. Deux principes pas toujours compatibles aux intérêts de certains. Comme le laissent penser les scandales à répétition, de nombreux barons du régime ont de bonnes raisons de ne pas y souscrire. Durant les opérations Mamba ou Scorpion, des membres de l’entourage immédiat du président de la République et plusieurs ministres, généralement en charge de secteurs clés de l’économie, furent mis en cause. Si certains croupissent toujours en prison, d’autres ont recouvré la liberté dans des conditions jamais élucidées, sans avoir été jugés. De ces précédents historiques, on peut tirer un enseignement : l’existence d’une loi ne suffit ni à garantir son respect ni à instaurer l’ordre. S’il espère doper l’investissement en mettant fin au règne de la corruption, le pouvoir politique doit renoncer à la justice à la carte.