Jugé pour homicides involontaires après le crash d’un hélicoptère de l’armée au Gabon, en 2009, un haut gradé s’est défendu, ce mardi, au tribunal de Paris : « Je n’aurais jamais pris la décision si mon équipage avait couru le moindre risque. »
Le 17 janvier 2009, peu après 20 h, un hélicoptère Cougar s’était abîmé dans le golfe du Biafra, quelques instants après son décollage d’un bâtiment de la Marine nationale, La Foudre, lors d’un exercice franco-gabonais. Huit hommes avaient péri. Les investigations avaient conclu à une erreur de pilotage mais huit militaires ont été renvoyés devant la justice et comparaissent depuis le 8 juin pour une possible responsabilité indirecte.
À la barre mardi, en civil et à la retraite, un lieutenant-colonel de 54 ans alors chef du détachement de l’armée au Gabon, poursuivi pour avoir autorisé le vol. La mission, délicate, qui consistait à héliporter des forces spéciales lors d’une nuit noire « de niveau 5 », c’est-à-dire sans horizon visible, n’était, au départ, pas prévue, rappelle la présidente de la 14e chambre correctionnelle, Caroline Kuhnmunch.
Ce jour-là, un samedi, le prévenu raconte avoir été informé par téléphone « aux alentours de 10 h », puis s’être rendu au camp De Gaulle, siège des forces françaises au Gabon. Un capitaine du détachement lui propose un équipage, qu’il valide, poursuit-il.
Un radar en panne
Depuis la semaine précédente, un radar de La Foudre était en panne, ce qui l’avait poussé à interdire les appontages (atterrissage sur le pont) de nuit, mais pas les décollages.
Lors d’une réunion, à 16 h, à Libreville, avec le général responsable de l’exercice N’gari, il émet des réserves sur les opérations de nuit, mais un responsable de la marine émet un avis différent.
Selon son témoignage, le général lance, d’un « ton agacé », voire « narquois », qu’il « n’y avait pas lieu de faire preuve de frilosité » pour cet exercice.
« Est-ce que vous avez eu l’impression de subir une forme de pression pendant cette réunion ? », interroge la présidente.
« Pression, non, enfin, pression à laquelle je ne peux pas répondre et gérer, non », répond le militaire dans une longue réponse alambiquée, préférant parler de « tension ». Lui-même pilote, il n’avait cependant pas la qualification nécessaire pour voler de nuit.
« C’est justement cette absence, ou ce manque de connaissance pointue, qui vous fait, en tant qu’officier de sécurité des vols, analyser l’ensemble des paramètres », réplique-t-il. « Je n’aurais jamais pris la décision, au grand jamais, si mon équipage avait couru le moindre risque ! »
« Une expérience aéronautique limitée »
La présidente lui fait remarquer qu’il n’a pas demandé son avis à son adjoint, un moniteur instructeur avec une expérience supérieure, lui aussi prévenu dans ce dossier.
« J’aurais pu, je l’aurais fait si j’avais analysé ou déterminé un risque quelconque. Ce n’était pas le cas », répète-t-il.
Une heure trente avant le décollage, le second pilote est remplacé par un autre homme, moins chevronné. Le prévenu souligne qu’en général, pour cet exercice binational sur le thème de la piraterie, il avait de « faibles ressources humaines », avec des « équipages jeunes » ayant « une expérience aéronautique limitée ».
Pour autant, ce changement était possible « sur l’aspect réglementaire » et « d’un point de vue sécurité des vols », assure-t-il.
La magistrate lit le « Frago », l’ordre de conduite de cette mission, qu’il a rédigé à 18 h 30.
Pour l’accusation, la panne du radar aurait dû empêcher le décollage car, en cas d’avarie grave, l’appareil aurait pu être obligé de se reposer immédiatement. « Pour vous, ce soir-là, c’était possible de décoller de La Foudre ? », s’enquiert la présidente.
« Oui, je le confirme », répond-il, évoquant l’utilisation possible d’un autre radar.
« Pour que ce soit très clair », l’interpelle son avocat, Alexis Gublin, « on est tous d’accord pour dire que, par nature, prendre un hélicoptère est plus dangereux que faire du vélo ». « Mais est-ce que le 17, vous avez la conscience de l’existence d’un risque d’une particulière gravité ? »