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[Tribune] « Oser rêver d’avenir »
Publié le mercredi 19 mai 2021  |  Gabon Review
Le
© Gabon Review par DR
Le directeur du Département de littérature africaine, Lucien Ditougou et l’initiateur de la journée Pierre Claver Akendengue, Noel Bertrand Boundzanga
Libreville le 19 mai 2017
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Auteur de «Le Gabon, une démocratie meurtrière», Noël Bertrand Boundzanga* est à nouveau sur Gabonreview. Il parle notamment du gel de l’Etat avec l’arrêt des recrutements à la Fonction publique, du gel de la vie avec la coercition au prétexte du Covid-19, du gel de l’offre politique au Gabon, aussi bien dans le camp du pouvoir que dans l’opposition. Et surtout, dans le contexte du dernier appel à la «paix des braves», il parle de l’appréhension de la classe politique à «dialoguer, créer des passerelles, formaliser des ententes, et se discipliner». Un texte à la prose et au rythme poétiques, ouvrant des perspectives tout en disséquant la situation sociopolitique du Gabon.

Du gel de l’Etat et de la vie. Notre pays est happé à la fois par les calamités naturelles et humaines telles que le coronavirus et le gel de l’Etat. En 2017, sous le langage d’Issoze Ngondet, le régime annonçait le gel de l’Etat par la suspension des recrutements à la fonction publique, l’arrêt des investissements publics, la suspension des régularisations administratives, etc. Un ciel inadéquat assombrissait tout soudainement un projet de société annoncé en 2016 dans des slogans plus espérantistes que les précédents « La prospérité partagée » après « l’avenir en confiance ». On déchanta très vite ; les bombes de la nuit du 31 août mirent fin au fantasme. En 2020, plus que le coronavirus, les fins stratèges du gel de l’Etat ont poussé le bouchon toujours plus loin en proclamant le gel de la vie. Confinement et couvre-feu interdisant tout commerce et toute vie sociale, et donc interdiction de la liberté. Sans que la loi n’ait été écrite, il fut même interdit de taper sur des casseroles. Ainsi périrent deux compatriotes, Gildas Iloko et Chancy Emane Mvomo, plombés par des hommes en treillis. Leur faute : avoir tapé sur des casseroles la nuit du 18 février 2021. Tout interdit le rêve et l’espoir. Même la venue d’une femme à la primature, tendant à renforcer dans l’imaginaire collectif le symbole de la république, notamment « la maternité allaitant » n’inspira aucun avenir qu’un Plan d’accélération de la Transformation. Les Gabonais ont vite compris qu’il s’agissait d’une accélération du pire, et donc de leurs souffrances, leurs douleurs, leurs meurtrissures et leurs deuils. Par cela, le régime annonça aux Gabonais qu’ils n’avaient pas fini de souffrir et que lui-même n’avait pas fini de dérouler le répertoire de ses vices.

Les conséquences d’une tragédie de l’offre politique. Evidemment, plus qu’avant, la demande culturelle et sociale a crû. Et la tragédie de l’offre qui se traduit par une carence de l’imagination continue de nous menacer ; il nous faut maintenant résister pour ne pas mourir. Le temps qui reste à vivre serait tout consacré à survivre, et donc à compter nos misères. Est-il utile de rappeler que les hommes vivent ensemble non seulement parce qu’il est dans leur nature de vivre en société, mais aussi parce que la société est une réponse efficace contre la loi de la jungle et les violences de la nature ? La société est protectrice. En ce sens, l’Etat est une providence. Or, depuis quelques années, la jungle vient à la conquête de la société et les hommes se découvrent abruptement vulnérables. Cette fois-ci, ce ne sont plus les violences de la nature qui les menacent, mais les violences sociopolitiques au lieu même où ils espéraient trouver la protection et le confort. Ce régime apporte les lamentations et la mort. Il fait de l’Etat une puissance mortifère au profit de sa seule protection, laissant la majorité des Gabonais en déroute, dans les marges.

Paix des braves et omarisme : défier l’inertie de l’histoire. Il nous faut imaginer une offre sociale et culturelle qui réponde à nos préoccupations politiques, c’est-à-dire celles de notre cité commune. Et nous y travaillons. Depuis quelque temps, apparaissent des « mains tendues » appelant à « la paix des braves » et au rassemblement des « fils spirituels d’Omar Bongo ». Elles ne sont d’aucune imagination, c’est pourquoi elles créent la panique et sèment la terreur. De fortes suspicions de combine pèsent sur ces mains tendues. D’abord parce qu’elles ne sont pas nouvelles. L’histoire contemporaine du Gabon est jalonnée de dialogues et des sortes de consensus qui ont conduit au gel de l’Etat et au gel de la vie. Les séquences historiques de 1995, 2005 et 2016 racontent toutes la même histoire. La panique est d’abord celle de l’opposition. Dans la difficulté de former une communauté homogène, elle voit dans son microcosme des gens prompts à « se rendre », comme s’ils étaient en cabale dans l’opposition. Les opposants expriment sans doute la crainte que le PDG et le Bongoïsme leur prennent encore quelques cerveaux. La terreur que sèment ces appels est liée au danger de la reproduction : ceux qui ont échoué en gelant l’Etat prétendent avoir qualité à le dégivrer. Un homme averti en vaut deux, on ne peut se laisser prendre par le même piège. Les Gabonais, même non politisés, le comprennent. C’est un schéma connu d’avance et qui verrouille l’avenir.

Pourtant les va-et-vient de René Ndemezo’o Obiang ont de quoi faire réfléchir les opposants au régime. Tout est certes connu d’avance, mais en raisonnant par l’absurde, tout en gardant une foi en soi, il ne serait pas mal venu pour l’opposition de prendre part à ce dialogue impossible. Ce dialogue est impossible parce que ceux qui l’annoncent ont préparé les conditions de son rejet par les opposants.

Tout n’est pas si absurde que ça ! Raisonnablement, les figures de proue de l’opposition refusent de répondre à ces dialogues, notamment parce que l’issue est connue d’avance. Si tel est effectivement le cas, on ne peut qu’être surpris par l’engouement que les uns et les autres ont à concourir au suffrage universel à l’occasion des présidentielles, puisque tout est joué d’avance. Pour ne prendre que le cas de la présidentielle de 2016, l’opposition et la société civile ont créé une structure dénommée Union sacrée pour la patrie (USP) à laquelle j’ai appartenu. Nous rejetions alors la candidature d’Ali Bongo parce que nous doutions de l’authenticité de son acte de naissance. Nous savions que si sa candidature était validée, il y aurait peu de chance qu’Ali Bongo ne soit pas déclaré élu du fait de la logique des institutions où Marie-Madeleine Mborantsuo préside la Cour constitutionnelle. Finalement, l’opposition est allée à cette présidentielle contre Ali Bongo alors qu’elle en connaissait l’issue. Pourquoi la règle qui prévaut aux élections présidentielles ne prévaut-elle pas aux dialogues ? Il y a sans doute une raison à cela : l’opposition a peur que le régime l’achète. Si tel est le cas, n’y aurait-il pas en cette attitude un manque de confiance en elle-même ? Sauf si les opposants considèrent que tout ce cirque est inutile et donc une perte de temps moins opportune que la présidentielle où il faut provoquer le destin.

L’opposition, la cohérence et l’entente. Ce qui fait peur, c’est moins l’entente des PDGistes que les mésententes des prêcheurs de la démocratie et du progrès. Car, certes l’entente des PDGistes prouve qu’au-delà du matérialisme il n’y a pas d’idée, mais la mésentente des opposants pourrait démontrer qu’ils sont dépourvus de solution. Il ne faut pas seulement s’entendre dans une politique spontanée, mais aussi dans une politique structurelle. Cela signifie que l’opposition doit structurer son entente. De sorte que, par exemple, tout le monde trouverait cohérent que d’anciens PDGistes soient dans une même structure politique, d’autant que les motifs ayant prévalu à leur démission du parti des masses sont les mêmes. Comment comprendre que des gens, hier, appartenant à la même écurie politique, en sortent sans reconstituer une force égale ou supérieure à leur ancien parti puisqu’ils prétendent avoir le même objectif de faire connaître au pays sa première expérience de l’alternance ?

Faire advenir la démocratie et le nouveau monde. Si les opposants qui vantent la démocratie et le développement ne font pas advenir le monde dont ils parlent, ils ne s’étonneront pas de voir d’autres René Ndemezo’o Obiang et Jean de Dieu Moukagni-Iwangou, pour ne citer que ces deux-là, répondre à des fusions-absorptions et « appel à la Nation ». Il est évident que les luttes que nous menons nécessitent une organisation et des sacrifices.

Nous ne souffrons le martyre dans une lutte que parce qu’une victoire finale en est l’issue. Si nous cessons de croire que notre monde tend vers le bien et que ce bien est sa finalité, alors la lutte et les privations qu’elle impose perdent leur sens. Mais la vie nous presse et elle ne nous laisse pas, individuellement, un centenaire pour réaliser le bien que nous souhaitons. C’est alors que le temps se compare à l’argent, faisant de l’argent la valeur suprême de notre séjour terrestre. Pour nous, perdre du temps ce n’est pas perdre l’argent ; perdre du temps, c’est perdre de vue notre objectif. Et il ne faut jamais croire qu’on atteindra cet objectif sans en accepter la part de souffrance. La démocratie et le développement ne sont pas des fantasmes, ils sont atteignables.

Le discours de l’alternance est un discours d’émancipation, parce qu’il a vocation à nous sortir de l’incrédulité et de l’aveuglement à cause desquels on désespère de tout et au nom desquels on a peur de prendre des initiatives. Les échecs successifs émoussent des forces certes, mais le combat pour l’émancipation n’a pas de prix comme il ne compte pas le temps, même s’il y a urgence à réaliser le rêve d’alternance, de démocratie et de développement au risque de le faire passer pour une pure fiction.

Nous devons donner à l’avenir les contours et les couleurs que nous voulons. Or cela n’est possible que par le biais du langage et d’un langage commun. De fait, il faut dialoguer, créer des passerelles, formaliser des ententes, et se discipliner. Car si le régime a la capacité de discipliner ses agents, ce n’est pas le cas dans une opposition à plusieurs voix. Le langage commun consiste donc d’abord en la pacification des rapports et à demeurer ensemble. Avant ou en 2023, l’opposition se doit d’avoir la même ambition et les mêmes principes. Non que ses acteurs aillent y chercher quelques lumières, mais qu’ils fassent advenir le monde dont ils parlent au quotidien, celui de l’alternance, de la démocratie, du développement et de la liberté.

L’entente de l’opposition et des forces vives comme condition de notre émancipation. Il faut s’émanciper de la tenaille du PDG et de l’emprise du bongoïsme. Il s’agit d’une politique d’autodétermination qui concerne aussi les compatriotes qui sont en situation de captivité et de servitude. De braves compatriotes l’ont fait avec brio et en ont montré l’exemple.

Aimer notre pays, c’est sortir des pièges du démocratisme, de ses leurres et comprendre que la vérité est dialogique. Le dialogue n’absout point l’exigence des rapports de force, de la maturité intellectuelle et de la sagesse patriotique. Il en est justement l’expression. L’opposition doit dialoguer avec elle-même d’abord, puis avec les tenants de l’inertie, quand c’est possible, pour mettre en place les conditions du nouveau monde et pour le réaliser. Parce que toute querelle n’est créatrice que dans la mesure où elle nous inscrit dans une dynamique de transformation. C’est ici que la parole politique se couvre d’une couche d’esthétique et que nous dirions avec Pierre Claver Akendengue : « beauté, beauté, beauté »…

*Maître de conférences, Enseignant-Chercheur à l’UOB

Membre de la société civile (Club 90)
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