De par leur objet, les rencontres entre Ali Bongo, Patricia Scotland et le prince Charles soulèvent bien de questions.
Ni politique-fiction ni fausse nouvelle : le Gabon vient de faire acte de candidature au Commonwealth. Naturellement, cette initiative soulève des questions. Pour mieux en mesurer la pertinence, l’opinion cherche à en saisir les avantages et inconvénients. Tout le monde veut en saisir la portée géopolitique ou en soupeser l’intérêt économique. Chacun essaie d’en évaluer les aspects linguistiques et culturels. Pourquoi rejoindre la sphère d’influence britannique ? Est-ce une manière de répudier le Français ou de le mettre en concurrence ? Est-ce un message envoyé à la France et au monde francophone ? Est-ce un moyen de s’ouvrir à de nouveaux marchés ? Une façon d’exorciser le passé ou de se projeter dans le futur ? Sur toutes ces questions, un exercice de clarification s’avère nécessaire. En se soumettant à un tel exercice, le gouvernement ferait œuvre utile.
Piliers de la politique étrangère
Perçu comme une transfiguration de l’empire colonial britannique, le Commonwealth se définit comme un «réseau de coopération et de promotion du développement». Il se donne pour objectif de promouvoir «l’entente et la paix dans le monde». A cette fin, des critères d’adhésion ont été définis, notamment l’effectivité d’un «lien constitutionnel historique avec un État membre», un engagement en faveur des «processus démocratiques, y compris des élections libres et équitables (…) l’indépendance du pouvoir judiciaire (…) la transparence dans les comptes publics, la protection des droits de l’homme», «l’utilisation de la langue anglaise dans les relations intercommunautaires», la «promotion de la société civile» et, last but not least, la «reconnaissance de la reine Elizabeth II comme chef du Commonwealth». Le Gabon répond-il à ces exigences ?
Selon le Plan stratégique Gabon émergent (PSGE), la politique étrangère du Gabon repose sur deux piliers : économique et sécuritaire. Affirmant vouloir capitaliser les relations bilatérales et les processus d’intégration, notre pays espère parvenir à une «diversification des partenariats économiques». Disant devoir valoriser ses atouts naturels et sa position géostratégique, il entend porter des «messages (sur) le développement durable, (…) le climat (et) le développement humain». Concrètement, cela doit se traduire par la promotion de «mécanismes de prévention des conflits et crises», y inclus les changements climatiques et le terrorisme. Cela passe aussi par le renforcement des «liens avec les différentes institutions partenaires». Surtout, cela suppose la maîtrise de l’espace maritime et de ses ressources. Vu sous cet angle, la rencontre entre Ali Bongo et le prince Charles peut avoir du sens voire de l’intérêt. En va-t-il de même pour celle avec Patricia Scotland ? Voire…
L’intérêt d’une telle initiative
À moins de méconnaître les récentes évolutions du Commonwealth, on ne peut parier sur une issue heureuse. Sauf à sous-estimer les conséquences de l’adhésion du Mozambique ou à se tromper sur les raisons de l’admission du Rwanda, on ne peut faire montre d’optimisme. Même si elle causa un malaise, au point de susciter des ajustements juridiques, l’admission du premier pays cité était une «reconnaissance de son soutien aux politiques du Commonwealth à l’égard de l’Afrique du Sud et de la Rhodésie à l’époque de l’apartheid». Celle du second procédait de «circonstances exceptionnelles» liées, entre autres, à son histoire singulière et au bilinguisme de son élite dirigeante, essentiellement constituée de personnalités venues d’Ouganda. Pour des raisons diverses, l’Algérie, Madagascar, le Yémen et même le Soudan n’ont pas eu la même fortune. Même si le Gabon s’est récemment avancé sur la dépénalisation de l’homosexualité et les relations au sein des couples, tout cela pourrait s’avérer insuffisant. Quand bien même, notre pays n’a de cesse de gloser sur un supposé engagement en faveur de l’environnement, on ne perçoit toujours pas l’intérêt d’une telle initiative.
Vu de l’extérieur, l’adhésion au Commonwealth peut apparaître comme une opportunité. Sur les 10 pays les plus riches du continent, cinq en sont membres. Sur les 10 les mieux gouvernés, neuf en font partie. Mais, on ne peut prétendre tirer bénéfice d’une quelconque appartenance sans songer à changer de pratique politique. Surtout, on ne peut instrumentaliser la question homosexuelle ou l’approche genre sans ouvrir le débat sur l’identité. Du point de vue de la langue, de la culture, de l’histoire, des traditions ou de l’État de droit, le Gabon a-t-il beaucoup de choses en partage avec l’ancien empire britannique ? Au lieu de se contenter de modifications aux forceps du Code pénal ou du Code civil, il faut plutôt se poser ces questions.