Au moment où le Gabon entreprend de renforcer son dispositif législatif en matière civile, pénale et de droit du travail afin de mieux lutter contre les violences faites aux femmes et renforcer l’égalité homme-femme, la ministre de la Justice et Garde des Sceaux, Erlyne Antonela Ndembet Damas, revient en profondeur sur les enjeux de cette réforme qui propulse le Gabon comme modèle continental en la matière. Interview.
Ces dix dernières années, nous avons constaté une réelle volonté des autorités politiques du Gabon de renforcer les droits des femmes gabonaises. Quelle est l’origine de cette volonté ?
Le 23 Mars 2015, dans le cadre d’un déplacement à Makokou dans la province de l’Ogooué-Ivindo, le Président de la République, Chef de l’Etat, Son excellence Ali BONGO ONDIMBA réaffirme sa volonté de promouvoir les droits de la femme et de lutter contre toutes les formes de discrimination à leur endroit et annonce son souhait d’instaurer la Décennie de la Femme Gabonaise.
En instaurant la Décennie de la femme au Gabon, le Président de la République, Chef de l’Etat, Son excellence Ali BONGO ONDIMBA a souhaité marquer l’ambition que le pays pourrait lever ces obstacles en dix ans et faire en sorte que les femmes réalisent leur plein potentiel.
Les récents projets de loi adoptés en conseil des ministres proposent des réformes ambitieuses du cadre législatif gabonais pour garantir l’égalité hommes-femmes. Quel a été l’élément déclencheur pour ces réformes ?
La mise en conformité du corpus juridique interne avec les conventions internationales et le souci constant du bien-être de la femme gabonaise, ont conduit le Gouvernement à s’approprier la Stratégie de réduction des Inégalités Femmes Hommes, qui s’est fondé sur un état des lieux des Droits des femmes et des inégalités Femmes Hommes au Gabon au cours duquel de nombreuses personnalités représentant la diversité des sensibilités gabonaises ont été consultées, ainsi que sur des travaux de benchmark.
L’étude menée propose de faire du Gabon un modèle d’égalité femmes-hommes et des Droits des Femmes en Afrique et établit une feuille de route structurant la mise en place de 33 mesures pour y parvenir sur un calendrier de 3 ans.
C’est donc la somme de toutes ces violences et discriminations identifiées qui a mené à la conception de la stratégie présentée et remise par la Fondation Sylvia Bongo Ondimba au Chef de l’Etat, qui l’a à son tour remis au Gouvernement au mois de Septembre dernier.
Quelles sont les principales nouveautés apportées par ces projets de loi ?
La principale nouveauté est la mise en place d’une loi spécifique visant à prévenir, protéger et éliminer les violences et discriminations faites aux femmes, qu’elles soient : physiques, morales, économiques patrimoniales…, et des mesures d’accompagnement de cette loi pour permettre son applicabilité. C’est une loi transversale car elle fait intervenir plusieurs administrations dans sa mise en œuvre.
Ainsi, le projet de loi portant élimination des violences faites aux femmes deviendra le socle du dispositif de protection de la femme dans notre pays.
Outre les autres mesures de prévention et de protection, il a la particularité de créer :
– un centre d’accueil entièrement dédié aux femmes violentées, disposant de. Cliniques juridiques chargées d’encadrer, de conseiller, d’orienter et d’accompagner les femmes victimes de violences,
mais aussi de créer un observatoire national des droits des femmes pour mesurer l’impact de ses réformes en se fondant sur des indicateurs définis, et également chargé de la communication en matière de droit des femmes et de lutte contre les violences à leur égard. De cette loi découle des modifications du code pénal et du code civil.
En ce qui concerne la réforme du code pénal, ce projet de loi apporte un renforcement significatif du dispositif des sanctions prévues dans notre législation, pour ce qui est des atteintes à la personne notamment lorsqu’elles sont dirigées contre les femmes (violences en tous genres et des discriminations…).
S’agissant du code civil, les modifications visent à accroitre l’harmonie et l’esprit de consensus dans une gestion partagée du ménage.
Plus que jamais, les époux formeront une équipe forte pour une vision et une administration commune de la famille.
La crise de la Covid-19 a entraîné une augmentation exponentielle des violences à l’égard des femmes. Qualifiant ce phénomène de « pandémie fantôme », ONU Femmes a appelé les dirigeants à travers le monde à prendre des mesures concrètes pour protéger leurs citoyennes. Quelle est la prévalence des violences à l’égard femmes au Gabon ?
Suivant les résultats de la première enquête nationale portant sur les Violences Basées sur le Genre (VBG) commanditée par le Gouvernement en 2015, il se dégage une prévalence générale de 63,8% de violences à l’égard des femmes, avec un taux de 57,6% en milieu urbain contre 6,2% en milieu rural. Selon la typologie des violences, nous avons un classement avec les violences physiques qui viennent en tête, suivies à toute aussi forte proportion par les violences économiques (4 personnes sur 5 sondées sont des femmes, soit 82,7%), puis les violences sexuelles.
La situation inédite du confinement des populations notamment le confinement total a mené à une augmentation notoire des violences faites aux femmes.
Cet état de fait a été relevé par les associations sur le terrain qui en ont fait retour.
Cette loi arrive donc bien à propos, au moment où le périmètre de vie a été restreint. Ces violences se sont accrues du fait de la situation sanitaire particulière qui n’a fait qu’accentuer la fragilité de la femme. Dans notre pays, celle-ci était déjà exposée aux violences : physiques (le viol, le harcèlement physique et sexuel…), morales (notamment dans le milieu professionnel), économiques (disparités salariales dans le domaine professionnel, spoliation des veuves…).
Et toutes les autres violences que les femmes subissent aussi bien en milieu familial que professionnel et autres.
Quelles sont les mesures de protection concrètes apportées par le projet de loi portant élimination des violences faites aux femmes ?
Les mesures de protection concrètes visent tout d’abord le renforcement des sanctions applicables aux auteurs de violences faites aux femmes, mais aussi :
l’élargissement des circonstances aggravantes des infractions commises à leur égard (Coups et blessures volontaires, viol, meurtre…) ;
la portée plus étendue et la clarification des notions de harcèlement moral et sexuel ;
le renforcement de la protection de la femme victime de violence dès le dépôt de la plainte par la sanction des fonctionnaires qui pourraient exercer sur elle des pressions visant à la contraindre à renoncer à ses droits ;
l’introduction des peines complémentaires applicables aux personnes coupables de violence envers les femmes avec des condamnations à un suivi socio-judiciaire afin de prévenir la récidive ;
la délivrance d’une ordonnance de protection en urgence par le juge civil ou pénal nonobstant l’existence d’une plainte pénale au préalable ;
la garantie par l’Etat d’une protection particulière du droit à l’image des victimes de violences ;
le droit à la gratuité de l’information à l’octroi d’une aide sociale et assistance juridique
Et enfin une protection particulière en ce qui concerne son contrat de travail (réorganisation du temps de travail, mutation géographique prioritaire, affectation dans un autre établissement…).
Parmi les reformes en cours, il y a l’interruption volontaire de grossesse. La révision du code pénal consacre-t-elle la libéralisation de cette pratique encore difficilement acceptée sur le continent africain ?
Tout d’abord nous rejetons le terme libéralisation en parlant de l’IVG car il a pour effet de semer la confusion et le doute dans les esprits. Rappelons que l’IVG constitue une infraction punissable d’une peine d’emprisonnement. Elle n’est admise que dans certains cas limitativement énumérés par la loi (risque de malformations du fœtus, risque pour la vie de la mère, conception résultant d’un viol ou d’un inceste).
L’innovation réside dans l’introduction de la notion de détresse.
Il s’agit d’une mesure encadrée juridiquement car il faut rappeler l’esprit de la loi qui impose que ces opérations soient exclusivement pratiquées sous contrôle médicale et en milieu hospitalier. Cette mesure est en adéquation avec la politique nataliste de notre pays.
En rallongeant le délai de recours à l’avortement qui passe de 10 à 12 semaines, il s’agit de permettre, entre autres, de détecter chez l’enfant à naitre, d’éventuels anomalies qui ne seraient pas visibles avant 10 semaines.
Enfin, cette réforme est une réponse à un problème de santé public majeur : la prévalence des avortements clandestins (23% des femmes gabonaises ont eu recours au moins une fois dans leur vie à l’avortement) et leur impact sur la santé et la fertilité de nos jeunes filles (21% des femmes avortées ont connu des complications médicales; c’est la deuxième cause de décès maternel, possibilité de séquelles invalidantes).
Le code civil touche aux fondements de la vie de famille et des dynamiques au sein du couple. Quelles sont les discriminations que ces réformes veulent corriger ?
Le projet de loi ne perturbe pas les fondements de la vie de famille.
Bien au contraire, ces réformes viennent renforcer la cohésion familiale en actant la complémentarité entre la femme et l’homme.
En effet, longtemps la notion de chef de famille a été dévoyée, ouvrant ainsi la voie à des dérives au sein de la cellule familiale pouvant aller jusqu’à la marginalisation de la femme qui devrait aider et seconder l’homme dans cette mission. Il est donc uniquement question ici d’une recentralisation du binôme que forment l’homme et la femme à la tête du ménage.
Bien que de fait, notre société soit bien avancée sur certaines questions, le code civil conservait des dispositions discriminatoires.
C’est pour cette raison que nous pouvons aisément dire qu’il n’y a pas de réel bouleversement dans le fond.
Il s’agit d’une mise en adéquation avec la vie quotidienne.
Par exemple : la possibilité pour l’homme d’interdire l’activité salariale à la femme (de nos jours la majorité des hommes ont compris l’avantage que le ménage tire d’avoir en son sein une femme active) ou l’ouverture d’un compte bancaire (dans la pratique il est devenu très rare qu’une banque exige l’autorisation de l’époux pour l’ouverture du compte de l’épouse).
A cela on peut ajouter d’autres mesures telles que :
L’allongement du délai de déclaration des enfants nés et l’obligation de délivrance des documents par la structure médicale accueillante ;
Le rehaussement de l’âge nubile de la femme de 15 à 18 ans ;
Le libre exercice d’activité salariale et de gestion économique personnelle de la femme ;
L’introduction de la notion de divorce par consentement mutuel qui permettra de simplifier les divorces non contentieux et de préserver les liens familiaux harmonieux (notamment dans l’éducation des enfants).
S’agissant des réformes du droit de la famille, nous avons constaté une levée de bouclier de la part des couches les plus conservatrices de la société qui brandissent la carte de la culture et des traditions gabonaises pour s’opposer à ces réformes. Pensez-vous que la société gabonaise est prête pour ces changements ?
En analysant les observations exprimées dans leur entièreté, fort heureusement plusieurs sont favorables et plutôt positives.
Ces projets de loi ont le mérite d’avoir permis un débat dans toutes les couches de la société.
L’argument de la culture et des traditions est une échappatoire car nos traditions ont toujours donné une place privilégiée à la femme ; pour preuve, le Sceau de notre République la représente.
Comme pour tous changements, les résistances ne sont pas nécessairement une preuve de rejet mais, elles font partie du processus de réflexion commun qui participe à l’avancée de tous pour un mieux vivre ensemble.
D’ailleurs, il est important de parler aussi de toutes les personnes en accord avec ces mesures qui vivent déjà la réalité de ce partenariat social entre l’homme et la femme : entre les époux.
Pensez-vous qu’il est opportun d’entreprendre une réforme législative d’une telle ampleur dans le contexte actuel marqué par une pandémie sanitaire mondiale qui a accentué la fracture sociale dans tous les pays ?
L’augmentation exponentielle des violences à l’égard des femmes et, le fait, que l’ONU femmes ait qualifié ces violences de « pandémie fantôme » prouve à suffisance l’opportunité d’entreprendre une telle réforme à un moment où la vulnérabilité de la femme est accentuée par la situation sanitaire difficile. La femme aura d’ailleurs une place importante à tenir dans la relance de l’économie post covid.
Il n’est pas rare que des lois, une fois adoptées, restent lettre morte. Le gouvernement a-t-il prévu des mesures spéciales pour assurer la mise en œuvre concrète du prescrit de la loi ?
La volonté du gouvernement à œuvrer au bien-être de la femme est d’autant plus affirmée qu’il est prévu une série de mesures pour rendre opérationnelle l’application immédiate de ces nouvelles dispositions législatives.
Ainsi chaque ministère intervenant dans le processus (Ministères en charge de :
l’Education Nationale, de la Famille, de la Justice, de la Santé, de l’Intérieur, de la Défense Nationale et de la Communication) bénéficiera de formations pour les personnels impliqués.
De même que des mesures éducatives seront mises en place pour l’ensemble de la population par la mise en œuvre de programme de sensibilisation, d’évaluation et de prévention de toutes les formes de violences à l’égard des femmes mais aussi de formations sur la détection précoce, la prise en charge clinique, psychologique et sociale des victimes et de leurs enfants ; Ces derniers subissent inévitablement des dommages collatéraux issus des violences perpétrées en milieu familial
Le Ministère de la Justice pour sa part, se prépare dès à présent à entretenir son personnel qu’ils s’agissent des magistrats, des personnels d’administration ou de greffe afin que l’application de ces lois soient efficientes.