«Obtention frauduleuse de documents administratifs». L’accusation portée contre l’ancien directeur de cabinet du président de la République n’est à l’avantage de personne : ni la justice ni le président de la République n’en sortent grandis.
A première vue, son curriculum vitae donne des complexes : tout à tour, administrateur-directeur général d’une des plus importantes institutions financières de la place, directeur central dans une structure publique en charge du développement, directeur général d’une société d’Etat spécialisée dans le transport maritime, directeur de cabinet du président de la République et, ministre chargé du Suivi de la stratégie des investissements humains et des objectifs de développement, l’homme aura occupé de prestigieuses fonctions. A y regarder de près, ce parcours suscite des doutes : accusé, en juin 2013, de malversations financières, cet habitué des opérations en eaux troubles fut sommé de quitter ses fonctions. Gardé à vue, il fut écroué à Sans-Famille. Déjà, à cette époque-là, certains ténors de l’Association des jeunes émergents volontaires (Ajev) l’accompagnèrent. Avaient-ils agi en bande organisée ? On ne saurait le dire.
Des nominations au mépris des textes
Personnalité essentielle du second mandat d’Ali Bongo, Brice Laccruche Alihanga est loin d’être au-dessus de tout soupçon. D’abord cité dans une affaire de «détournements de deniers publics, concussion et blanchiment de capitaux», il est aux prises à la justice depuis 18 mois. Désormais accusé d’«obtention frauduleuse de documents administratifs», il doit apporter la preuve de l’authenticité de son certificat de nationalité. Le président de la République aurait-il eu un faussaire pour collaborateur immédiat ? Des détenteurs de l’autorité publique se seraient-ils livrés à une altération de la vérité ? Aux dires des conseils de l’ancien directeur de cabinet d’Ali Bongo, «les présidents des tribunaux (…) de Franceville (…) sont des témoins privilégiés». De ce fait, «ils doivent (…) expliquer dans quelles conditions ils ont (délivré ce) document».
Révélatrice de dysfonctionnements institutionnels, cette histoire n’est à l’avantage de personne : ni la justice ni le président de la République n’en sortent indemnes. Tout cela incite à rappeler le contexte de ces dernières années : entre des inconnus aux états de service inconnus et des cadres issus d’une assistance technique internationale, de nombreuses personnalités sont arrivées au cœur de l’Etat au mépris des textes. Sans en avoir ni la qualité ni les compétences. Malgré les protestations des syndicats, elles ont été promues. En dépit des dénonciations des acteurs politiques, elles ont été protégées. Nonobstant la frustration populaire, elles ont été maintenues. Pour ainsi dire, cette affaire met en exergue les limites de la gouvernance politique : faisant montre d’autoritarisme, le pouvoir a cru bon recourir aux services de gens à sa seule convenance. Les porosités entre secteur privé et secteur public étaient-elles dénoncées ? La mainmise d’entreprises sur les affaires de l’État était-elle pointée ? L’exécutif répondait par le mépris ou la menace.
La fragilité de notre État en lumière
Les zélateurs du régime plaideront-ils l’«erreur de casting» ? Du fait de la multiplication de manquements aux textes cet argument ne fait plus sens Evoqueront-ils la nécessité de «mettre un terme aux promotions (…) guidées par le repli identitaire, le clanisme et le clientélisme politique» ? Personne ne s’en trouvera exonéré du respect des lois et procédures. Outre le président de la République et les tribunaux de l’ordre judiciaire, une autre institution voit sa responsabilité engagée dans cette affaire : le Conseil d’État. Appelée à rendre des avis nécessaires à la conduite des affaires publiques, cette juridiction a le devoir de veiller à la régularité des nominations. Sans remettre en cause le pouvoir discrétionnaire, elle peut se prononcer sur l’éligibilité des impétrants. Dans une certaine mesure, cette remarque vaut aussi pour le secrétariat général du gouvernement, défini comme «le greffier de la République».
Les dernières accusations portées contre Brice Laccruche Alihanga relancent le débat sur les nominations effectuées depuis 2009. Si elles entament la crédibilité de nos institutions, elles mettent en lumière la fragilité de notre Etat. Volens nolens, ni son certificat de nationalité ni ses différents décrets de nomination ne portent la signature de l’ancien directeur de cabinet du président de la République. Tous ces documents lui ont été délivrés par les autorités compétentes. Face à un tel imbroglio, seule la prééminence du droit sur le pouvoir politique peut offrir une solution juste et durable. Autrement dit, sans véritable Etat de droit, le procès en cours exhalera toujours un parfum de règlement de comptes politiciens, Aux juges de le comprendre. Pour leur crédibilité et pour celle de l’appareil judiciaire.