Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Annonces    Femmes    Nécrologie    Publicité
NEWS
Comment
Accueil
News
Politique
Article
Politique

Libre propos : Portée et limites du nouveau découpage électoral
Publié le lundi 5 fevrier 2018  |  Gabon Review
Mays
© Autre presse par DR
Mays Mouissi, analyste économique
Comment


Le Conseil des ministres du 26 janvier 2018 a adopté le projet d’ordonnance portant fixation et répartition des sièges de députés par province, département et commune. Ce texte porte à 143 le nombre de députés composant l’Assemblée nationale contre 120 auparavant. L’ordonnance proposée par le ministre de l’Intérieur procède également, de façon unilatérale, à un nouveau découpage électoral des circonscriptions législatives. Dans ce libre propos, l’analyste l’économique Mays Mouissi analyse les incohérences de ce découpage électoral présenté par le gouvernement comme l’une des recommandations majeures du dialogue politique d’Agondjé, initié par Ali Bongo pour panser les plaies de la crise postélectorale.

Gabon

Quand un député représentera 58 000 habitants, un autre n’en représentera que 500 : les incongruités du nouveau découpage électoral adopté par le gouvernement.

Résumé exécutif


Le 26 janvier 2018, le Conseil des ministres réuni autour du président gabonais Ali Bongo, a adopté le projet d’ordonnance portant fixation et répartition des sièges de députés par province, département et commune. Ce texte porte à 143 le nombre de députés composant l’Assemblée nationale de la République gabonaise contre 120 auparavant. L’ordonnance proposée par le ministre gabonais de l’Intérieur procède également, de façon unilatérale, à un nouveau découpage électoral des circonscriptions législatives.

Présenté comme la mise en œuvre d’une recommandation du dialogue politique initié par l’exécutif gabonais au second trimestre 2017, le nouveau découpage électoral interpelle par le nombre de ses incohérences. En effet, les autorités gabonaises ont adopté un découpage électoral qui ne tienne compte ni de la démographie des circonscriptions, ni du nombre d’électeurs qui y sont inscrits, ni de la géographie des territoires, ni de leur sociologie.

Ainsi, avec la nouvelle carte électorale législative, un député élu dans la commune de Libreville représentera en moyenne 58 662 habitants à l’Assemblée nationale tandis que son collègue élu dans le département de la Douya Onoye n’en représentera que 536. Selon la même logique, un électeur du département de la Lekoni-Lékori dans le Haut-Ogooué a un poids électoral 8,5 fois supérieur à celui d’un électeur de la ville de Port-Gentil quand il s’agit d’envoyer un député à l’Assemblée nationale. De fait, en adoptant un découpage électoral qui ne tienne pas compte de la réalité socio-démographique et territoriale du Gabon, le gouvernement a consacré la supériorité de certains citoyens par rapport à d’autres dans le choix des élus de la République. Une situation susceptible de rompre le pacte républicain et qui devrait interpeller les juges constitutionnels.



Une répartition provinciale des députés atypique

Qu’elle soit observée du point de vue de la démographie ou du nombre d’électeurs inscrits sur la liste électorale, la distribution provinciale des députés de la République gabonaise est atypique.

L’Estuaire, province capitale, compte le plus grand nombre de députés (26 dont 12 à Libreville). Elle est talonnée par le Haut-Ogooué, qui ne compte que 3 députés de moins (23 députés). Ainsi, l’Estuaire, pourtant près de 4 fois plus peuplée que le Haut-Ogooué (895 689 habitants contre 250 799 habitants[1]) envoie quasiment autant de députés à l’Assemblée nationale que cette dernière. En prolongeant l’analyse, on constate que le nombre de députés quasi-équivalent entre l’Estuaire et le Haut-Ogooué ne saurait être justifié par le nombre d’électeurs qui y sont inscrits et donc par la transhumance électorale. En effet, selon la liste électorale produite en 2016 par le ministère gabonaise de l’Intérieur, la province de l’Estuaire compte 261 841 électeurs inscrits tandis que celle du Haut-Ogooué n’en compte que 71 123, près de 4 fois moins.

La composante démographique a compté si peu dans le nouveau découpage électoral des circonscriptions législatives, que sa non-prise en compte va créer des situations hallucinantes dans la composition de la première chambre du parlement. En effet, le gouvernement a entériné le fait que la ville de Libreville qui compte 703 940 habitants n’envoie que 12 députés à l’Assemblée nationale quand les 250 799 habitants de la province du Haut-Ogoouée sont représentés par 23 députés et les 100 838 habitants de la Ngounié sont eux représentés par 18 députés.

Autre province parmi les plus lésées par le découpage électoral gouvernemental, l’Ogooué-Maritime. Forte d’une population de 157 562 habitants et de 62 133 électeurs inscrits, la province pétrolière, connue pour être frondeuse et contestataire, ne sera représentée à l’Assemblée nationale que par 13 députés, un nombre de représentants quasiment similaire à ceux de l’Ogooué-Ivindo (12 députés) et de l’Ogooué-Lolo (12 députés), toutes deux connues pour être des bastions du parti au pouvoir. Troisième province au plan démographique et électoral selon les données communiquées par le gouvernement gabonais, l’Ogooué-Maritime n’arrive pourtant qu’en 5e position par son nombre de députés.

La province du Moyen-Ogooué, dont il convient de rappeler qu’elle a très majoritairement voté contre le pouvoir en place aux deux dernières élections présidentielles (2009 et 2016), a un nombre de députés relativement faible comparativement à d’autres provinces au regard de sa population et du nombre d’électeurs qui y sont inscrits. Près de 70 000 habitants ont été recensés dans cette province nichée au centre du Gabon, 28 829 électeurs sont inscrits sur la liste électorale de la province. Et pourtant, le Moyen-Ogooué n’envoie que 10 députés à l’Assemblée nationale contre 11 pour la province de la Nyanga et 12 chacune pour l’Ogooué-Lolo et l’Ogooué-Ivindo, toutes moins densément peuplées qu’elle.

Ainsi, avec le nouveau découpage électoral, l’Estuaire qui concentre 49% de la population du Gabon n’élira que 18% des députés de la représentation nationale. Quant au Haut-Ogooué, avec 14% de la population nationale, la province élira 16% des députés du Gabon. Cependant, si le cas du Haut-Ogooué demeure emblématique, il convient de rappeler que cette province n’est pas la seule à avoir un nombre députés décorrélé de son poids démographique et de son poids électoral. On constate également ce phénomène dans d’autres provinces :

Ngounié : 6% de la population et 13% des députés ;
Ogooué-Ivindo : 3% de la population et 8% des députés ;
Nyanga : 3% de la population et 8% des députés ;
Ogooué-Lolo : 4% de la population et 8% des députés ;
A ce stade de l’analyse, on peut constater que la représentation nationale n’est pas si nationale que ça puisque les citoyens de certaines provinces sont mieux représentés au parlement que ceux d’autres provinces.



DES DÉPUTÉS MOINS REPRÉSENTATIFS QUE DES PRÉSIDENTS D’AMICALES ÉTUDIANTES
Au plan départemental, les gabonais les mieux représentés à l’Assemblée nationale sont ceux qui résident dans les départements de la Douya Onoye, du Komo Océan, de Mougoutsi, de la Haute-Banio, de Mbendjé, de la Mougalaba, de la Lolo-Bouenguidi, du Haut-Como, d’Etimboué et de la Bayi-Brikolo. Dans ces départements, chaque député représentera moins de 2 000 personnes à l’Assemblée nationale. Mieux, avec 1 député pour à peine 500 habitants, les départements de la Douya Onoye et du Komo Océan peuvent être considérés comme de super privilégiés. En effet, il est fort probable que lors des prochaines législatives, les députés élus dans ces circonscriptions obtiennent moins de suffrages que le Secrétaire général de la coopérative scolaire du collège Bessieux de Libreville lors de son élection par les élèves de cet établissement. Des responsables de coopératives scolaires et d’amicales étudiantes plus représentatifs que certains députés, ça ne semble pas gêner grand monde parmi les décideurs.

Si les populations des départements cités ci-dessus sont les mieux représentées à l’Assemblée nationale, celles des communes de Libreville, d’Owendo, de Port-Gentil, d’Oyem et de Moanda qui figurent parmi les plus peuplées du pays sont, par contre, les moins représentées. En moyenne, un député élu dans ces communes représentera :

58 662 habitants à Libreville ;
39 650 habitants à Owendo ;
34 116 habitants à Port-Gentil ;
30 433 habitants à Oyem ;
29 582 habitants à Moanda.
Au final, à l’Assemblée nationale du Gabon, un député qui représente une circonscription de plus de 50 000 habitants aura une voix lors des délibérations législatives tout comme son collègue qui représente une circonscription de 500 habitants. Pourtant, le premier représentera 100 fois plus d’habitants que le second. L’Assemblée nationale est structurellement déséquilibrée. Cette situation qui a vocation à durer n’est pas une bonne chose pour le Gabon dont les citoyens ne sont pas équitablement représentés dans les institutions législatives.

Les 10 localités les moins favorisés qui comptent le moins de députés comparativement à leur population présentent quelques similitudes. Il s’agit de communes urbaines qui concentrent à elles seules une part importante de l’activité économique (ce qui explique aussi leur forte population) d’une part, il s’agit également de localités qui votent majoritairement contre le pouvoir notamment lors des élections présidentielles (à l’exception notable de Franceville et Moanda). C’est peut-être pourquoi, par le passé, certains responsables politiques de l’opposition gabonaise à l’instar de Pierre Mamboundou, dénonçaient un découpage électoral déséquilibré, qui favorise plus les régions rurales désertes au détriment des zones urbaines densément peuplées et dont l’objectif est de réduire systémiquement le poids de l’opposition au sein du parlement en augmentant les nombres de députés dans les fiefs du pouvoir et en diminuant leur nombre dans les fiefs de l’opposition.

UN DÉCOUPAGE ÉLECTORAL RÉALISÉ SUR DES BASES ARBITRAIRES
Puisqu’il est désormais démontré que le nouveau découpage électoral adopté par le gouvernement ne tient pas compte de la population de chaque circonscription, on aurait pu penser que le ministre gabonais de l’Intérieur a procédé au découpage électoral en s’appuyant sur le nombre d’électeurs inscrits dans chaque circonscription, et donc sur la liste électorale établie par son département ministériel. Il n’en est rien. Le fichier électoral n’a pas plus servi à la réalisation du découpage électoral que la distribution de la population à travers le pays.

En effet, lorsqu’on compare la répartition des députés avec le nombre d’électeurs inscrits dans chaque circonscription, on retrouve les mêmes incongruités qu’avec la comparaison avec le nombre d’habitants de chaque localité. Avec 709 personnes inscrites sur la liste électorale, le département de la Haute Banio dans la Nyanga est celui qui compte le moins d’électeurs dans le pays. Cette circonscription enverra pourtant 1 député à l’Assemblée nationale tandis que la commune d’Owendo avec ses 30 532 électeurs inscrits n’enverra que 2 députés à la première chambre (une moyenne de 15 266 électeurs pour chaque député). En moyenne, à Owendo, il faut 22 fois plus d’électeurs que dans le département de la Haute Banio pour élire un député.

Comme le département de la Haute Banio, 18 autres départements s’illustrent par un nombre d’électeurs inscrits pour un député relativement faible (inférieur à 2 000). Pêle-mêle on peut citer les départements de la Mvoung, des Plateaux, de la Lombo-Bouenguidi, de Ndougou, de Lekoni Lékori, du Haut-Como, etc.

Le système politique et législatif gabonais étant hérité de la France, ancienne puissance coloniale, les dirigeants gabonais n’auraient-ils pas été mieux inspirés d’adapter localement les règles en vigueur dans ce pays en matière de découpage électoral ? En effet, une décision du Conseil constitutionnel français précise : « L’Assemblée nationale, désignée au suffrage universel direct, doit être élue sur des bases essentiellement démographiques ; que, si le législateur peut tenir compte d’impératifs d’intérêt général susceptibles d’atténuer la portée de cette règle fondamentale, il ne saurait le faire que dans une mesure limitée »[2].

Si cette règle de bon sens était appliquée au Gabon, l’intégralité du découpage électoral adopté par le gouvernement le 26 janvier 2018 serait tout simplement annulée. Il en résulterait un nouveau découpage qui consacrerait l’élection de 40 à 50% des députés de la République dans la seule province de l’Estuaire. Une situation qui mettrait le pouvoir en place en grande difficulté.

QUELLES SOLUTIONS POUR UN DÉCOUPAGE ÉLECTORAL PLUS ÉQUITABLE ET DES DÉPUTÉS PLUS REPRÉSENTATIFS ?
Un découpage électoral réalisé en suivant strictement des critères statistiques et démographiques respecterait l’un et/ou l’autre de ces deux critères :

Un député à l’Assemblée nationale doit représenter au moins 12 665 habitants ;
Un député à l’Assemblée doit représenter au moins 4 333 électeurs inscrits à sur la liste électorale.
Dans cette hypothèse, la répartition des députés par province au sein de la première chambre du parlement gabonais serait la suivante :

Estuaire : 71 députés au lieu de 26 (+45) ;
Haut-Ogooué : 20 députés au lieu de 23 (-3) ;
Ogooué-Maritime : 13 députés au lieu de 13 (0) ;
Woleu-Ntem : 12 députés au lieu de 18 (-6) ;
Ngounié : 8 députés au lieu de 18 (-10) ;
Moyen-Ogooué : 5 députés au lieu de 10 (-5) ;
Ogooué-Lolo : 5 députés au lieu de 12 (-7) ;
Ogooué-Ivindo : 5 députés au lieu de 12 (-7) ;
Nyanga : 4 députés au lieu de 11 (-7).
Cependant, une répartition purement mathématique du nombre de députés à travers le territoire n’est pas, de notre point de vue, la méthode la mieux adaptée aux spécificités gabonaises.

Pour enrichir le débat en cours sur l’équité du découpage électoral et des députés plus représentatifs, nous proposons de définir un modèle gabonais servant de base à tout découpage électoral législatif, lequel sera retranscrit dans les lois de la République. Nous proposons donc de :

Déterminer par la concertation ou par une consultation référendaire un nombre minimum de députés par province ;
Créer une table de représentativité fixant les niveaux de populations à partir desquels un territoire peut être représenté par un, deux, trois ou quatre députés … La table de représentativité ainsi modélisée devra tenir compte du minimum d’élus par province déterminé au point précédent ;
Définir un coefficient lié à la superficie des territoires qui viendra compléter le critère démographique dans la détermination du nombre de députés de chaque circonscription ;
Faire évoluer le découpage électoral tous les 10 ans après le recensement général de la population prévu à l’article Premier alinéa 15 de la Constitution gabonaise pour tenir compte des évolutions démographiques ;
Donner force de loi au modèle gabonais de découpage électoral.
Une répartition nationale des députés élaborée en suivant le modèle proposé ci-dessus serait moins arbitraire, moins sujette à la contestation tout en laissant peu de places aux calculs politiciens. Par ailleurs, la méthode préconisée obligera les dirigeants gabonais à regrouper les circonscriptions (notamment les moins peuplées et/ou les moins étendues géographiquement) avec pour conséquence une réduction du nombre de députés à l’Assemblée nationale et des économies budgétaires récurrentes pour l’Etat.

Si l’objectif des autorités gabonaises est de permettre au pays d’avoir une Assemblée nationale véritablement représentative, d’avoir un découpage électoral qui tienne compte de la démographie et des spécificités de nos territoires tout en fixant une représentation minimale pour chaque province, ils peuvent se servir de la méthode que nous avons énoncé ci-dessus. Mais dans le contexte politico-économique actuel au Gabon, l’équité et la transparence sont-elles au cœur des priorités du gouvernement ?

Mays Mouissi

Sources principales :

Communiqué final du Conseil des ministres du 26 janvier 2018
Recensement général de la population et des logements de 2013 (RGPL 2013)
PROJET IBOGA, Découpage électoral 2016
Loi 7/96 du 12 mars 1993 portant dispositions communes dispositions communes à toutes les élections politiques en République gabonaise
Code électoral du Gabon
[1] Données du RGPL 2013

[2] Alinéa 26 de la décision 86-208 DC du 3 juillet 1986 du Conseil constitutionnel français
... suite de l'article sur Gabon Review

Commentaires

Sondage
Nous suivre
Nos réseaux sociaux


Comment

Comment