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Création de 10.000 emplois par an : Mays Mouissi démontre l’improbabilité de cette promesse
Publié le vendredi 5 janvier 2018  |  Gabon Review
Mays
© Autre presse par DR
Mays Mouissi, analyste économique
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Cinq jours après le discours à la Nation du président de la République, au cours duquel il a notamment promis créer 10 000 emplois par an, Mays Mouissi s’est montré dubitatif sur l’atteinte de cet horizon dans le contexte actuel. Pour l’analyste économique : «Ali Bongo n’y arrivera pas». Ci-après, l’intégralité de sa démonstration.


Le 31 décembre, à l’occasion de son traditionnel discours de vœux à la nation, le président gabonais Ali Bongo a fait une série de promesses. Parmi les plus emblématiques, la promesse de créer 10 000 emplois nouveaux par an pour résorber le chômage dont il a indiqué qu’il était désormais sa « priorité absolue ». Pour donner corps à cet engagement, Ali Bongo a décidé de procéder sans délai à des exonérations totales ou partielles des charges sociales au bénéfice des employeurs.

Si l’allègement des charges peut avoir un effet positif sur les créations d’emplois, il est cependant peu probable que le gouvernement gabonais parvienne à créer 10 000 emplois nets par an en raison de la corrélation entre emplois et croissance d’une part, de l’écosystème nécessaire à la réalisation de cette promesse qui est aujourd’hui absent et de la structure de l’économie du Gabon dont le secteur pétrolier peut avoir, selon le contexte du marché, un effet moteur ou déflateur pour l’économie.

Rappel historique
Présentée comme la principale annonce du discours à la nation d’Ali Bongo, la promesse de créer 10 000 emplois par an n’a en réalité rien de nouveau puisqu’elle était déjà contenue dans le Plan de relance de l’économie (PRE). En effet, le chapitre 2 du PRE, prévoit la création de 30 000 emplois entre 2017 et 2019[1], soit 10 000 emplois par an sur la période. Ainsi, cet engagement était déjà valable pour l’année 2017 qui vient de s’achever sans pour autant que le gouvernement ne soit parvenu à créer 2 000 emplois nets (moins de 20% de réalisation sur l’année 2017).

Par ailleurs, l’engagement de créer 10 000 emplois par an, aussi ambitieux qu’il puisse paraitre, est en réalité une révision à la baisse des engagements pris par le président gabonais devant la nation en matière de création d’emplois. En effet, la promesse initiale en la matière était de créer 20 000 emplois par an. Ali Bongo l’avait réaffirmé dans un discours solennel prononcé le 11 février 2016 à la zone économique spéciale de Nkok, dans la moyenne banlieue de Libreville. Cette promesse oubliée n’a jamais été réalisée à plus de 10% depuis son annonce.

Ainsi, l’exécutif gabonais multiplie-t-il les annonces en matière de création d’emplois sans pour autant parvenir à les traduire en actes concrets fragilisant, de fait, la parole publique. Ces échecs à répétition pointent un problème de méthode, de stratégie économique et d’efficacité opérationnelle.

L’emploi : des chiffres, des annonces et des échecs

Si l’on se base strictement sur les chiffres de l’emploi tels que déclinés dans le Tableau de bord de l’économie gabonaise (édition 2017), à fin 2016 le Gabon comptait 199 374 emplois, dont 108 150 dans le secteur public et 91 224 dans le secteur privé. Le secteur public demeure donc le principal employeur du pays.

Au cours des 3 dernières années pour lesquelles les statistiques de l’emploi au Gabon sont connues, le gouvernement n’est parvenu à créer que 653 emplois en 2015 avec une croissance économique de 3,3% et a même assisté à la destruction de 517 emplois quand la croissance est passée à 2,3% en 2016. Selon le FMI, la croissance économique au Gabon en 2017 n’a été que 0,8% et le gouvernement espère qu’elle sera autour de 3% en 2018. Dans ce contexte, comment le gouvernement parviendrait-il à créer 10 000 emplois avec une croissance espérée de 3% quand il n’en a créé que 653 avec une croissance similaire en 2015 ?

Une analyse fine des données de l’emploi au Gabon permet de constater qu’entre 2014 et 2016, les emplois se sont principalement créés dans le secteur public. Ainsi 897 emplois ont été créés dans l’administration publique (+1%) en 2016 alors que le secteur privé détruisait 1 414 emplois la même année (-1,3%).

Or, pour faire face à la baisse des ressources publiques, le gouvernement gabonais a choisi d’appliquer un plan d’austérité dont l’une des mesures est le gel des embauches dans l’administration publique hors secteurs prioritaires (éducation et santé). En conséquence, l’hypothèse d’une création de 10 000 emplois nets au niveau national en 2018 reviendrait faire porter les créations des emplois annoncés quasi exclusivement au secteur privé dont une partie structurante est complètement sinistrée par la crise (notamment le secteur primaire et la sous-traitance pétrolière).

En outre, les mesures d’accompagnement annoncées pour favoriser les créations d’emplois comme l’exonération des charges sociales n’ont qu’un effet de levier limité sur les principaux secteurs qui structurent l’économie du Gabon. C’est particulièrement vrai dans le secteur primaire où la véritable variable d’ajustement des emplois est le prix des matières premières à l’international. Si les cours du pétrole et/ou du manganèse sont bas, ni les compagnies pétrolières ni les compagnies minières n’embaucheront massivement même avec les exonérations les plus généreuses. Elles ne pourraient pas non plus irradier de commandes la sous-traitance qui peut être génératrice de milliers d’emplois en période de croissance.

L’un des secteurs sur lequel le gouvernement pourrait compter pour parvenir à ses objectifs de création d’emplois est le secteur agricole. Dans ce secteur, l’exonération des charges sociales pourrait avoir un impact sensible sur les politiques de recrutement des grands agriculteurs désireux d’accroitre leurs productions. Au cours du premier quinquennat d’Ali Bongo, la pro-activité et la multiplication des investissements du groupe OLAM en a fait le premier employeur privé du Gabon. Ce groupe, devenu omniprésent (risque de concentration), compte environ 8 000 salariés à travers le Gabon. Cependant, il est peu probable qu’OLAM crée des milliers d’emplois dans ses plantations de palmiers à huile et d’hévéa en 2018 tant le rythme de recrutement a été soutenu au cours des années précédentes et les principaux projets d’OLAM qui étaient en phase de lancement ont atteint leur maturité et disposent d’un niveau d’effectifs suffisants pour être pleinement opérationnels.

Pour créer massivement de l’emploi, reste donc le programme GRAINE. Celui-ci va être relancé grâce à un financement extérieur de 64 milliards FCFA[2]. Cependant, les résultats décevants de ce programme laissent perplexe. En effet, lors du lancement du programme GRAINE en 2014, Ali Bongo en avait défini les objectifs : créer entre 15 000 et 20 000 emplois, mettre en exploitation 200 000 hectares en 5 ans, tracer 3000 km de pistes d’accès aux plantations, autonomiser 30 000 familles grâce aux coopératives impliquées dans le projet. 4 ans plus tard, aucun de ces objectifs n’a été atteint.

Quelles solutions pour parvenir à réduire le chômage ?
Pour parvenir à la création de 10 000 emplois par an pendant 3 ans, les théoriciens du Plan de relance de l’économie (PRE), pourtant particulièrement optimistes, avaient corrélé cet objectif à la réalisation de 3 autres objectifs, sans lesquels il serait, de fait, inatteignable :

ramener le taux de croissance du PIB au niveau cible de 5% d’ici à 2019 ;
renouer avec un solde positif de la balance des paiements ;
renforcer durablement la compétitivité des filières moteur de croissance, dans le cadre d’une relation partenariale inédite entre le secteur privé et le secteur public.
Au 31 décembre 2017, aucun des objectifs ci-dessus, qui concourent pourtant à la création d’emplois n’a été atteint par le gouvernement. Ils ne seront sans doute pas atteints en 2018 non plus puisque selon les projections du gouvernement gabonais la croissance sera inférieure à 5% (environ 3%) et le solde de la balance des paiements demeurera négatif. Quant au renforcement de la compétitivité des filières moteur de croissance, il va falloir aller bien au-delà des seules exonérations des charges sociales.

En effet, la création massive et durable des emplois au Gabon passe par la mise en place d’un écosystème assaini, entrainé par une croissance comprise entre 7 et 10% dont plus de la moitié proviendrait des activités non pétrolières et qui serait expurgé des lourdeurs administratives qui caractérisent le fonctionnement de l’Etat gabonais aujourd’hui.

Il faudrait par ailleurs, rétablir la confiance des nationaux dans leurs dirigeants et des investisseurs dans le Gabon. Comment y parvenir, sans solder le passif lié aux dernières élections qui empoisonne la vie de la nation et qui bloque le fonctionnement du pays à bien des égards ?

Dans ses politiques publiques, le gouvernement gabonais communique beaucoup sur l’attraction des investissements directs étrangers (IDE), souvent au détriment de l’investissement des nationaux qui méritent pourtant d’être stimulé. Les nationaux désireux de créer ou de développer leur entreprise manquent d’accompagnement et de financements (les banques gabonaises étant particulièrement prudentes). Ils sont, par ailleurs, confrontés aux lourdeurs récurrentes de l’administration gabonaise si peu agile, si peu informatisée, si peu dématérialisée. Dans une économie vertueuse, les emplois privés sont majoritairement créés par les nationaux. L’Etat doit donc encourager, accompagner, faciliter et financer les initiatives entrepreneuriales nationales. Un fonds dédié au financement des entreprises nationales, rigoureusement géré, est devenu indispensable, tout comme le renforcement de l’Agence nationale de promotion des investissements (ANPI) qui doit être en capacité d’accompagner les initiatives des gabonais dans toutes les provinces ainsi que celles des gabonais de la diaspora.

La réduction du chômage passe également par la diversification de l’offre de formation. En effet, en 2011, plus de 81% des formations dans l’enseignement supérieur au Gabon étaient des formations dites générales (41% en lettres et sciences humaines, 22% en droit et sciences économiques, 11% en écoles normales et 7% en sciences de gestion)[3] alors que l’économie du Gabon se structure progressivement en économie semi-industrielle et de services. L’offre de formation ne répond pas aux besoins du marché, favorisant ainsi le chômage des diplômés. Il est donc indispensable de faire évoluer le système éducatif gabonais et de l’adapter aux évolutions du monde moderne. Pour relever ce défi, le gouvernement doit massivement investir dans l’éducation nationale et l’enseignement supérieur gabonais pour en faire des références continentales. Il est indispensable d’améliorer la qualité des formations, de densifier l’offre et les structures de formation, de généraliser l’alternance dans l’enseignement technique et professionnel pour rendre opérationnels les jeunes diplômés sur le marché du travail. Par ailleurs, il faut faire participer les entreprises à la définition des types de formations qui correspondent aux besoins du marché local.

Enfin, la création massive des emplois au Gabon ne peut être effective en l’absence de relance de la commande publique qui fait vivre de nombreuses entreprises dans le bâtiment et dans les services. Pour parvenir à accroitre l’investissement public dans un contexte de baisse substantielle des ressources budgétaires, l’État n’a d’autre choix que de réduire véritablement son train de vie en allégeant considérablement ses dépenses de fonctionnement, en réalisant des économies de toutes natures sur les dépenses de biens et services, en réduisant la taille du gouvernement et des chambres parlementaires, en regroupant certaines institutions et en supprimant d’autres, en optimisant l’administration, etc.

De fait, pour parvenir à créer 10 000 emplois, il faut bien plus que des discours incantatoires, mais une stratégie économique ciblée qui tienne compte des spécificités de l’économie nationale, de la nature de sa croissance, si peu inclusive, du caractère structurant du secteur pétrolier sur les autres secteurs d’activités, etc. Se limiter à des actions isolées (comme la seule réduction des charges sociales) serait une erreur qui entrainera un nouvel échec des politiques nationales de l’emploi. L’État se doit d’apporter des solutions d’ensemble au problème global qu’est celui du chômage.

Mays Mouissi
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