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Crise post-électorale : Entre exigence de justice et nécessité de stabilité
Publié le lundi 25 septembre 2017  |  Gabon Review
Gabon
© Autre presse par DR
Gabon : rien ne sera plus comme avant
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Alors qu’Emmanuel Issoze Ngondet parle d’amnistie, le Parlement européen demande l’ouverture d’une enquête internationale sur les exactions de septembre 2016. Quelle voie pour le Gabon ? Favoriser une sortie de crise, combattre l’impunité, aider les victimes à se relever des exactions et prévenir de nouveaux dérapages. Voilà le défi auquel ce citoyen, Franck Ndjimbi*, par ailleurs commissaire national à l’Union nationale (UN, opposition, proche de Jean Ping), tente d’apporter une réponse.

Pendant plus d’une année, le pouvoir PDG a minimisé l’ampleur des exactions commises durant les violences post-électorales de septembre 2016. Niant l’évidence, il parlait de quatre morts dont un policier. Depuis le mercredi 13 septembre dernier, il tient un discours différent. Emmanuel Issoze Ngondet a affirmé devoir évaluer les voies et moyens de parvenir à une loi d’amnistie «qui traiterait, au cas par cas, certaines situations engageant des personnes qui se seraient rendues coupables» d’exactions durant la crise post-électorale de 20161. Curieusement, alors que cette annonce a suscité de nombreuses réactions, c’est le silence radio dans les rangs du pouvoir. Comme s’ils réfléchissaient, après coup, à la portée de cette proposition, ses ténors se livrent à une inédite abstinence médiatique. Les Gabonais voudraient pourtant en savoir davantage.

Au fond, les stratèges du pouvoir PDG n’ont jamais sérieusement réfléchi à une sortie de crise. Plus à l’aise dans le maniement des fausses bonnes idées que dans la gestion du quotidien, ils préfèrent la poésie de la grandiloquence à la prose du concret. Parce qu’elle équivaudrait à un pardon collectif, l’amnistie ne peut être unilatérale. Elle doit résulter d’une concertation et d’un consensus national. Parce qu’elle relève de la responsabilité du pouvoir législatif, elle ne peut être l’affaire d’une Assemblée nationale illégale, dont le mandat est arrivé à échéance depuis bientôt un an. Parce qu’elle arrêterait les poursuites et annulerait les condamnations, elle ne peut être envisagée dans un contexte où personne n’a été poursuivi, a fortiori condamné. Parce qu’elle supprimerait les conséquences pénales sans faire disparaître les faits matériels ni supprimer les conséquences civiles, elle n’est envisageable que dans un processus de réconciliation nationale. Sur quels fondements concevoir alors un mécanisme de réconciliation nationale alliant exigence de justice et nécessité de stabilité ?

Responsabilité historique

La question de la réconciliation nationale s’est posée à de nombreux peuples de par le monde. De quel pays, le Gabon doit-il s’inspirer ? Quelle voie doit-il emprunter ? Au lieu de louvoyer, nous devons affronter la vérité historique. Nous devons le faire dans le respect de notre tradition politique. Au fondement du Gabon moderne, il y a une volonté de s’ouvrir au reste du monde. Dans bien des cas, notre pays a été parmi les premiers en Afrique à signer ou ratifier les instruments juridiques internationaux. De faible densité, il a longtemps été reconnu et salué pour son arrimage à l’international. Pourquoi ne mettrait-il pas en œuvre des mécanismes internationalement reconnus ? Dans un monde où l’information circule de plus en plus vite, de nombreux processus de réconciliation nationale ont été documentés. Dans la plupart des cas, ils se réfèrent à la justice transitionnelle. Généralement, ils font appel aux Principes Joinet2 et à la lutte contre l’impunité.

Réconciliation nationale ? Justice transitionnelle ? Cette approche s’inscrit dans une logique de sortie de crise et de démocratisation réelle. Elle vise un objectif double : dépasser le cadre strict du procès pénal et écarter définitivement la menace de nouvelles exactions. Elle tient compte d’une réalité : si les procès sont indispensables à la lutte contre l’impunité, ils demeurent insuffisants pour aider les victimes et leurs familles à se reconstruire ou à faire leur deuil. Sans information précise, le négationnisme pourrait l’emporter sur la vérité historique. À ce jour, il y a divergence sur le nombre de morts et disparus occasionnés par les événements de septembre 2016.

Pourtant, les Gabonais ont le devoir de s’accorder enfin sur un chiffre. Ils ont le droit de savoir. Ils ont l’obligation de faire la lumière sur les circonstances et les raisons de la perpétration de telles exactions, de les documenter, en conserver les archives et autres éléments de preuve et, enfin, de permettre aux familles de faire leur deuil en toute connaissance de cause. Si chacun croit avoir une idée des raisons de la perpétration de ces exactions, les circonstances demeurent encore floues. Et pour cause : apeurées ou traumatisées, de nombreux acteurs ou témoins hésitent à s’exprimer publiquement sur la question. Que s’est-il réellement passé au quartier général de Jean Ping dans la nuit du 31 août 2016 ? Y a-t-il eu des tueries dans les quartiers les jours suivants ? De qui étaient-ils le fait ? Par quels moyens ? Qui a ordonné et piloté ces opérations ? À ces questions, nous devons apporter des réponses précises, détaillées et soutenues par des documents. Pour notre pays, nous ne pouvons nous soustraire de cette responsabilité historique. Pour nos enfants, nous ne pouvons accepter une loi injuste, une amnistie scélérate.

Triomphe de la justice

En annonçant la mise en place d’une commission nationale dédiée, Emmanuel Issoze Ngondet a reconnu que ces événements tragiques constituent l’un des principaux angles morts de notre histoire récente. Nous lui suggérerons d’aller plus loin. Comme les eurodéputés, nous lui proposerons d’élargir son champ de vision à l’ensemble du processus électoral. Si elle doit aider à la reconstruction de notre vivre ensemble, cette commission, dont il conviendrait de s’assurer de l’indépendance et du pluralisme, ne pourra s’intéresser aux seules exactions : en sus des événements post-électoraux, elle devra examiner le déroulement de la campagne électorale, le scrutin et la centralisation des résultats. Ce n’est qu’ainsi qu’elle aidera la nation à comprendre comment et pourquoi en sommes-nous arrivés là et avec quels acteurs. Ce n’est que cette manière qu’elle contribuera au triomphe de la justice.

Chacun le sait et le pense : tant que les auteurs des tueries et abus de droit n’auront pas été désignés, tant qu’ils n’auront pas répondu de leurs actes, l’amnistie sera politiquement, socialement et moralement irrecevable. À condition qu’elle soit respectueuse des droits des parties, la justice constitue, en effet, le deuxième pilier du processus de réconciliation nationale. Ayant saisi la Cour pénale internationale (CPI), le gouvernement doit faciliter sa collaboration avec les juridictions nationales. Est-ce envisageable en l’état actuel des choses ? Nos tribunaux présentent-ils des garanties suffisantes d’impartialité et d’indépendance ? Sont-ils outillés pour mener ces enquêtes ou assurer ces poursuites ? En ont-ils l’intention ? Comme de nombreux compatriotes, nous en doutons fortement. Comme eux, nous attendons les réponses du gouvernement. Nous croyons que le Gabon n’est jamais lui-même que quand il agit conformément à la légalité internationale. Or, le droit international humanitaire exige des enquêtes indépendantes et impartiales en cas de tueries de masse. Pour l’heure, les victimes ou leurs familles doivent avoir conscience qu’individuellement ou collectivement, elles peuvent être à l’origine de poursuites. À cette condition, elles contribueront à ouvrir la voie vers les réparations.

Quoi qu’en dise Emmanuel Issoze Ngondet, on ne peut parler de justice pénale sans évoquer son pendant civil et les réparations y attachées. En la matière, plusieurs options existent : versement d’argent ; accès gratuit aux soins de santé et à l’éducation ; excuses publiques ou, baptême d’infrastructures publiques (aéroport, rue…). Durant le Dialogue national pour l’alternance (DNPA), de nombreux témoignages furent recueillis. L’assistance fut particulièrement émue par le témoignage d’une jeune compatriote, qui affirmait avoir été enlevée chez elle, à Nzeng-Ayong, puis brûlée par des agents de la force publique au seul motif qu’elle appartient au même groupe ethnique que Jean Ping. Sur ce cas précis, comme sur d’autres, seule une enquête indépendante et impartiale peut confirmer ou infirmer la version de la victime. Qui prend en charge la scolarité des orphelins et l’ensemble des dépenses des familles des morts et disparus ? Qui supporte les frais médicaux générés par les blessures, mutilations ou traumatismes ? Comment garantir l’équilibre psychologique d’enfants traumatisés par la disparition ou la mort brutale d’un parent ? À toutes ces questions, un mécanisme de réparation peut trouver des réponses.

Affronter le passé pour mieux préparer l’avenir

Réconcilier les Gabonais c’est avant tout respecter leurs droits. C’est aussi éviter de s’absoudre de toute responsabilité. Dès lors, la proposition d’Emmanuel Issoze Ngondet est une faute morale et politique, une insulte à la mémoire de toutes les personnes tombées pour le triomphe de la liberté. Pour reconstruire notre vivre ensemble, nous devons regarder la vérité en face. Parfois, il vaut mieux affronter le passé pour mieux préparer l’avenir. C’est la responsabilité de l’État de protéger les personnes et les biens. Autrement dit, l’État doit offrir des garanties de non-répétition. Cela suppose des réformes institutionnelles justes, équitables et conformes aux engagements internationaux de notre pays. La promotion de l’État de droit, le développement d’une culture des droits de l’homme et, la restauration de la confiance dans les institutions publiques doivent en être les objectifs.

À qui profiterait un processus de justice transitionnelle ? À l’ensemble de la société, sans distinction aucune. Qui le mettrait en œuvre ? Pour de nombreux compatriotes, le régime actuel n’a ni la légitimité ni la crédibilité pour conduire un tel processus. De leur point de vue, il faut écarter d’emblée les trois pouvoirs : d’une part, l’exécutif, qui a la haute main sur les forces de défense et de sécurité ; d’autre part, l’Assemblée nationale dont le mandat est sans cesse prorogé par une Cour constitutionnelle totalement discréditée ; enfin, la justice, qui a validé les résultats de la présidentielle d’août 2016, avant de recouvrir des règlements de comptes politiciens de son autorité. Que faire alors ? Par quel bout commencer ?

Comme dans tous les processus mémoriels, un élément revêt une importance particulière : la temporalité. Sa prise en compte permettrait d’arrêter la période couverte par les enquêtes. Sur ce point, Emmanuel Issoze Ngondet et les eurodéputés sont d’accord pour se limiter aux événements de septembre 2016. Pourquoi ne pas remonter plus loin dans le temps ? Nous sommes convaincus que les événements de septembre 2016 sont l’aboutissement d’une dévolution monarchique du pouvoir, d’un mandat chaotique et d’un processus électoral biaisé. Nous affirmons que la conjugaison de ces événements a servi de levain au jusqu’au-boutisme du pouvoir et à la détermination des populations. Or, nous voulons prévenir une instrumentalisation de la justice transitionnelle à des fins de légitimation. Voilà pourquoi, nous croyons en la nécessité de remonter au fondement des choses. En clair, si on peut se fixer des repères, la période couverte doit être fonction des témoignages, quitte à remonter à juin 20093 voire au-delà. Ce n’est qu’ainsi que la nation entière pourra s’approprier ce processus. C’est à cette condition que certaines catégories de citoyens ne se sentiront pas victimes de vengeance ou de lâchage.

Dans le respect de nos engagements internationaux

Temporalité, appropriation et sûreté : la réunion de ces paramètres permet d’articuler les différentes séquences, de s’assurer que les conclusions de l’enquête ne resteront pas lettre morte et que les forces de sécurité joueront le jeu. On en revient à la question fondamentale : qui a l’autorité nécessaire pour initier et mettre en œuvre un tel mécanisme ? Les institutions actuelles sont à la fois contestées et illégitimes. À notre corps défendant, nous ne pouvons qu’en tirer une leçon : jamais nos compatriotes n’accorderont du crédit à un processus piloté par des acteurs nationaux. A contrario, ils appuieront et soutiendront un processus conduit par des organisations internationales. Puisque le divorce entre nos institutions et le peuple est consommé, nous sommes condamnés à nous appuyer sur la coopération internationale, à revendiquer notre ouverture sur le monde voire à assumer notre extraversion.

Nous entendons des voix s’élever, au nom de la souveraineté et de l’indépendance nationale, contre les interventions de la communauté internationale. Nous rappelons que l’indépendance du Gabon a eu pour corollaire son entrée dans le concert des nations. Le Gabon est une composante de la communauté internationale. Il participe à son essor ainsi qu’à la détermination des règles qui la régissent. Les interventions de la communauté internationale résultent et résulteront toujours des accords internationaux auxquels notre pays a librement souscrit.

Pour donner à notre peuple une chance de se réconcilier, il faut nous en remettre à la communauté internationale. C’est dans le respect de nos engagements internationaux que se joue notre destinée commune. Ouvrons la réflexion, balisons le chemin, arrêtons les principes et faisons ensuite appel à nos partenaires : la Cour africaine des droits de l’homme, l’Organisation internationale de la francophonie et, le Haut commissariat des Nations-unies aux droits de l’homme. Restons nous-mêmes. Restons ouverts sur le monde. C’est peut-être ainsi que nous rendrons à notre jeunesse un peu de cet espoir noyé dans des torrents d’hémoglobine, un peu de cette espérance partie en fumée, sous des tirs à balles réelles et des effluves de grenades lacrymogènes.

Franck NDJIMBI
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