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Tribune libre : «Et si les sciences sociales s’invitaient dans le débat politique actuel ?»
Publié le mardi 17 mai 2016   |  Gabon Review




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Les hommes politiques, plus particulièrement les candidats à l’élection présidentielle, ne connaîtront pas vraiment les subtilités, l’identité, les perspectives, les convoitises et les aspirations des peuples des différentes régions du Gabon tant que les professionnels des sciences sociales ne leur serviront pas de conseillers. Telle est, grosso modo, la thèse défendue dans le libre propos ci-après par Jean-Emery Etoughé-Efé, chercheur à l’IRSH et au Cenarest.

Depuis le début des déclarations de candidatures à l’élection présidentielle du mois d’août prochain, les états-majors se constituent. Ils sillonnent déjà le pays pour convaincre les potentiels électeurs de la qualité du programme de société de leur leader. Comme pour toutes les élections passées, nous pensons que la prochaine se distinguera par son originalité. Les équipes n’étant constituées jusque-là que de quelques stratèges politiques et le plus souvent des communicants.

Une campagne électorale c’est aussi une question de méthodologie de terrain. Car, du terrain politique au Gabon, nous savons que les actuels candidats, même aux postes les plus élevés de l’Etat n’ont pas daigné sillonner tout le pays pour le connaitre dans le cadre de leurs fonctions politiques. Députés, ils s’arrêtaient dans leur fief électoral pour faire le bilan des travaux à l’Assemblée. Sénateurs, ils procédaient de la même façon. Ministres, ils privilégiaient les actions qui favorisaient leur région d’origine ou leur département et en profitaient pour s’y rendre afin de faire la promotion du Chef de l’Etat. Du coup, les autres régions n’étaient pas visitées et, par conséquent, ne sont pas bien connues de ces acteurs politiques.

Maintenant que la campagne sera lancée, comment faire pour rattraper ce retard ? Certains alignent dans leurs états-majors des ressortissants des régions dont ils n’ont pas la maîtrise pour convaincre les populations. Les autres font l’effort d’aller à la rencontre de ces populations qu’ils n’ont jamais visitées auparavant. Sans vouloir porter un jugement sur cette manière de procéder, il est ici question de voir comment remédier à cet atavisme. En effet, il ne suffit pas de déclarer qu’on peut transformer une majorité sociologique en majorité politique. Pour y arriver, il faut sérieusement travailler le terrain. Mais comment ?

Pour donner des pistes de solutions à cette interrogation, il faudrait convoquer les sciences sociales et comprendre à quoi elles servent dans des contextes comme celui que nous traversons actuellement. C’est donc en cela que les spécialistes des sciences sociales sont indispensables. D’une part, ce sont les femmes et hommes de terrain, pour la plupart. D’autre part, ils connaissent les modes de fonctionnement des acteurs politiques nationaux. Ainsi, pour donner un peu de crédibilité à ces derniers, ils sont les seuls à combler, par un travail minutieux de terrain, les lacunes des uns et des autres dans la course pour se voir porter au pouvoir suprême par un peuple qu’on ne connait pas assez ou presque.

Mais, peut-on diriger un pays sans connaître son peuple ? Cela est possible. Mais pour y remédier, il faut apprendre à mieux le connaître. Car, comme disait Platon, « si on veut connaître un peuple, il faut écouter sa musique ». En empruntant la métaphore, l’on dira qu’écouter la musique du peuple gabonais, c’est être attentif à ce que ce peuple envoie comme message. Ou mieux, il faut aller l’explorer. Aller sur le terrain pour comprendre ses subtilités et sa profondeur, son identité, ses perspectives, ses convoitises, ses aspirations, etc. Seul, le concours des sciences sociales est nécessaire et indispensable pour aller scruter les tréfonds des individus dont vous convoitez les suffrages. Qui sont-ils, que font-ils ? Que veulent-ils ? Etc.

Dans son article publié dans la Revue internationale des sciences sociales, en 2003, intitulé : « Renforcer le rôle des sciences sociales dans la société : l’Initiative mondiale en matière de sciences sociales », Le Docteur en science politique Ali Kazancigil, reprend la Déclaration de Lisbonne sur les sciences sociales, de novembre 2001, et rapporte que « Les connaissances produites par les sciences sociales sont très utiles pour comprendre et surmonter la complexité, les incertitudes et les dangers propres à notre monde. Les gouvernements, ainsi que les acteurs sociaux et économiques, doivent donc faire un usage plus systématique et plus large des sciences sociales » (Kazancigil, 2003 : 426).

En nous appropriant cette citation, nous en profitons pour revendiquer la part de la sociologie dans la pratique des sciences sociales. Même s’il est trop souvent reproché au sociologue d’être comme l’oiseau de Minerve. Il arrive trop tard, il explique que si ça s’est passé ainsi, c’est que ça devait se passer ainsi. Toutefois, son raisonnement sera le type de raisonnement qui soumet des faits datés et localisés à un traitement expérimental : il procède expérimentalement dans une situation non expérimentale.

Aussi, au nombre des objets de recherche qu’il lui convient d’examiner se trouvent ceux liés aux identités, en particulier culturelles, et aux usages et appropriations dont le peuple se revendique. Ces dimensions ontologiques à chaque peuple imposent une réflexion par nature interdisciplinaire.

En positionnant la sociologie comme fer de lance de la connaissance d’une société, il faut partir d’un principe simple, comme l’évoque le sociologue Henri Mendras dans son essai Comment devenir sociologue : « Avant tout pour se faire sociologue, il faut avoir une certaine insatisfaction à l’égard de la société et une inquiétude sur sa position personnelle dans cette société » (Mendras, 1995 : 40).

Sommes-nous satisfaits de notre position dans la société gabonaise actuelle ? Bien sûr, il y en a qui le sont. Dans une société il y a toutes les catégories d’individus. Par exemple, la sociologie revendique trois sortes de sociologues. Selon Raymond Aron il y a : « le grand prêtre de la science, le médecin du peuple et le conseiller du Prince » (Constant, 2000 :6). De ces trois postures, les professionnels des sciences sociales qui serviront de conseiller aux candidats à l’élection présidentielle de cette année ne devraient pas se contenter de telle ou telle autre, mais servir d’aiguillon dans la quête de compréhension de la société gabonaise pour mieux la servir, une fois au sommet de l’Etat.

Cette interpellation est l’adresse d’un homme de terrain aux acteurs politiques de premier plan qui ont la vocation de changer le paradigme de la gouvernance du Gabon telle qu’elle s’appréhende depuis l’indépendance du pays en 1960.

Jean-Emery Etoughé-Efé

Maître de recherche à l’Institut de Recherche en Sciences Humaines (IRSH)/CENAREST

Libreville/Gabon

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