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Blues pour prisonniers d’opinion dans un Etat policier
Publié le mercredi 29 juillet 2015   |  Gabon Review




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La muse pamphlétaire de Gabonreview, qui revient exceptionnellement un mercredi, rage cette fois pour les prisonniers d’opinion – circonstanciels, avérés ou fabriqués de toutes pièces – qui ont vécu ou vivent le petit Guantanamo tropical de «Sans-Famille», le pénitencier de Libreville. Un blues, comme dirait Nicolas Peyrac, pour ces «illuminés qu’on [incarcère] de peur qu’ils ne montrent du doigt les fausses promesses des rois».

La limite est si fine entre un État policier et un État barbare. D’abord, on identifie les ennemis potentiels du système, ensuite on brandit des menaces, on réalise des messages de sensibilisation qui les présentent comme hostiles, dangereux, haineux, malsains et puis, si ça ne suffit pas, on passe en mode dissuasion sinon répressif.

Il faut faire peur à ceux qui décrient le système assassin et menteur qui caractérise celui qui domine, gère, pille et deale le Gabon. Il faut faire taire ceux qui jouissent de la capacité de rassembler les troupes, ceux qui ont le don naturel de mobiliser, ceux qui n’ont pas besoin de brandir des promesses, des cartons de poulets, des bouteilles d’huile, des boites de lait, des cartons de sucre, du vin bon marché et des casiers de bière pour se faire écouter, pour se faire entendre, pour «dociliser» leur concitoyens, ceux qui n’ont pas eu besoin de lécher le derrière répugnant de la République, de lui caresser le cuir, avec de la salive, de la bave ou du gel ; ceux qui ne sont pas nés avec le peigne d’argent, la cuillère en or ou les chaussons de verres ; tous ces courageux, ces battants, ces guerriers de la lumière, ces chevaliers de la liberté, ces gens qui brandissent la vérité comme arme et qui tentent désespérément d’insuffler au peuple gabonais le désir de justice, d’équité et de prospérité qui semble tant lui faire défaut.

Ils diront, mais de quoi parle-t-elle, le peuple gabonais a un désir de justice, le peuple gabonais a un désir d’équité, le peuple gabonais a un désir de prospérité saillant, sinon ils ne seraient pas si nombreux à épouser le concept de l’émergence prôné parce ceux qui sont assis sur et tout près du trône ? Mais tous ceux qui ramassent les miettes sous leurs pieds, tous ceux qui essayent de sauver ce qui peut l’être, tous ceux qui regardent de loin les lumières du palais, en s’éclairant à la bougie, tous ceux qui ont connu les nuits de guerre anti-moustiques, anti-chaleur, anti-érosion, anti-inondation et tous ceux qui se sont résignés, savent que la Justice, la vraie, celle pour laquelle ils sont si nombreux à être allés étudier le Droit, celle pour laquelle ils sont si nombreux à avoir prêté serment, celle pour laquelle ils ont si nombreux à avoir revêtu la toge, est inexistante. Tous ceux qui se sont résignés savent qu’il n’y a aucune équité, que les riches sont tout-puissants, que les biens-nés sont supérieurs, que les gens sur et tout près du trône sont obnubilés par leur propre personne, qu’ils ont un standing de vie à respecter et que ce standing de vie passe au-dessus de tout, de l’intérêt supérieur du peuple gabonais, de l’intérêt supérieur de la Nation gabonaise.

On est le 11 avril 2015, les opposants se sont donné rendez-vous à Rio. Ce lieu est leur point de rendez-vous depuis jadis, tout part de Rio, tout se rend à Rio, Rio est et a toujours été le point de ralliement de l’opposition. Mais cette fois, dans le but d’affirmer sa suprématie, celui qui nous sert de Président de la République et les membres de son parti, s’y sont donnés rendez-vous. C’est ce jour-là qu’on entend Ali Bongo prétendre qu’ils construisent des routes, qu’ils construisent des hôpitaux et qu’ils construisent des stades, des routes sur lesquelles les opposants circulent, des hôpitaux dans lesquels ils mènent leurs malades, des stades dans lesquels ils viendront assister à la CAN 2017, comme si le budget de l’État était issu des cotisations du Parti dit Démocratique Gabonais. C’est ce jour-là qu’une dizaine de jeunes dont Jean Paul Ombanda, ont été embarqués, non, capturés, après plusieurs interrogatoires qui pour la plupart avaient pour but de les inciter à prétendre que Jean Ping les droguaient pour les pousser à l’insurrection, un peu comme les troupes rebelles du Kivu opèrent avec les enfants qu’ils recrutent dans leur guérilla. Refusant de mentir, ils sont alors accusés de trouble à l’ordre public (faut avouer qu’ils avaient entonné des chansons anti-PDG et anti-Ali Bongo mais bon si maintenant on emprisonne des gens pour ça…), puis d’atteinte à la sûreté de l’État (comme s’ils étaient armés et dangereux ou comme si on avait trouvé chez eux des plans pour poser des bombes ou incendier des bâtiments) et pour finir, ils sont déférés pour atteinte à l’honneur du Chef de l’État, injure au Chef de l’État. Whatever, des jeunes adolescents et des jeunes adultes ont connu l’inadmissible. 4 jours d’interrogatoires, un mois, nourris comme des chiens, une fois par jour, avec des rations qu’aucun mot ne peut définir, au menu soit du poisson presque cru, une maigre tranche de poulet cuit et la célèbre boîte de sardine du dimanche ; le tout accompagné d’un pain impossible à définir, sans compter le fait d’avoir été privés d’eau durant 1, 2 ou 3 jours, alors ne parlons même pas des douches. Dormir à 5 sur un matelas d’une place, en cuillère avec des hommes pour se tenir au chaud, dans l’insalubrité, côtoyant des oubliés de la Justice (ceux qui ont purgé leur peine mais dont personne ne se soucie ou ceux qui sont là depuis plus de 10 ans sans avoir été jugés, et les multirécidivistes qui sont comme des touristes, des habitués, des «kassiks»). Dans l’insalubrité la plus inqualifiables, les latrines dites coloniales, vidées au pot, aucune visite médicale, aucun loisir, mais du cannabis en poutoulou pour les incarcérés.

Pour tous ceux qui ont vécu tout ça et pire injustement, pour tous ceux qui ont été violés et abusés par des prisonniers ou par des hommes qui n’ont aucun respect pour leur uniforme, pour tous ceux qu’on a traité comme des animaux dans leur propre pays, au finish, l’adage qui dit que la prison change un homme, prend tout son sens parce que plus rien ne redeviendra comme avant. En sortant de là, ils sont prêts à se battre et surtout à mourir pour leur pays. L’effet escompté par ce système est de les pousser à se renfermer, à abdiquer, mais la réalité est tout autre, ils sont prêts à mourir pour un peuple qui ne mérite pas que quiconque meurt pour lui ; ils sont prêts à mourir pour un pays qui est géré, pillé et dealé par une élite moribonde ; ils sont prêts à mourir pour des gens qui se serviront de leur mort comme témoignage et le plus terrible c’est qu’ils ne sont plus prêts à vivre pour assister à la libération de notre cher pays. Ils ont été brisés, piétinés, et il y a encore des morceaux d’eux éparpillés dans ces prisons, des parts d’eux emprisonnées. Ils ont renoncé à la liberté de rêver, d’être et d’espérer. Pour eux la seule issue est la mort pour la patrie, ils sont entrés en hommes libres, et en sont ressortis en condamnés à mort.

Il y a Christian Nkombegnondo qui est allé gonfler les rangs de tous les prisonniers politiques, aux côtés de Constant Edou Ndong qui y est depuis plus de 5 mois, Eric Gérard Digondi et Pascal Edzang Nzué pour ne citer que ceux-là parmi tous les militants, les activistes, les condamnés à mort et les martyrs de la lutte pour un Autre Gabon. Le message est passé, la limite entre l’État policier et l’État barbare est franchie et bientôt il sera trop tard pour faire semblant d’être aveugle.

On va quand même finir par récupérer Notre pays.

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