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Tribune libre : «Une amitié bien française»
Publié le mercredi 31 decembre 2014   |  Gabon Review




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Fondateur du «Club 90», une «majorité citoyenne» en opposition à la majorité présidentielle, Noël Bertrand Boundzanga, jeune enseignant-chercheur à l’Université Omar Bongo déjà publié ici, s’attarde, à travers le libre propos ci-après, sur «la responsabilité de la France dans la fâcheuse histoire du Gabon». Pour que le Gabon parvienne à «s’affranchir de la dynastie Bongo et du tutorat français», il rappelle les contours de cette histoire pour demander à l’ancienne puissance coloniale de se «repentir en ressuscitant ce qui l’a toujours distinguée des autres nations du monde : les droits de l’Homme et du citoyen.»

Les relations entre les Etats ont beau être des relations d’intérêt, ils ne cessent pour autant d’activer des valeurs humanistes, la preuve que les intérêts ne sont pas seulement mercantiles et géopolitiques. Sans écrire ici l’histoire de la relation France-Gabon pour laquelle je n’ai qu’une modeste connaissance, il m’est cependant possible de faire écho, sans naïveté, d’une France humaniste face à un Gabon qui plonge dans la barbarie, depuis au moins la réédition de la dynastie Bongo en 2009.

Inutile de dissimuler que le Gabon a tourné le dos définitivement à la rationalité politique et administrative, les parlementaires ayant fait le choix de ne plus représenter le peuple et de se taire en laissant prospérer des inepties au sommet de l’Etat, et les juristes ayant opté pour le divertissement au moment même où ils peuvent entrer dans l’histoire. Et depuis les évènements du 20 décembre qui se sont soldés par la mort d’un compatriote du nom de Bruno Béka, auquel il faut rendre hommage et préparer des obsèques nationales, la France a montré qu’elle était vigilante et se tenait en alerte par rapport à ce qui se passe au Gabon. Ainsi le Parti socialiste a condamné non seulement les violences perpétrées contre le peuple gabonais mais également le viol de la démocratie. En effet, nul ne peut comprendre qu’un pouvoir, désormais illégitime par ailleurs, puisse interdire un meeting de l’opposition alors que, parallèlement, il autorise des milliers de marches des compatriotes frappés par une cécité qui fait peur. Si l’on peut excuser une politique économique sans résultat, on peut accuser la conjoncture internationale pour dissimuler son incompétence, on ne peut guère soutenir qu’un chef de l’Etat n’ait pas une pièce d’état-civil valide. C’est avec un acte de naissance qu’on fait une pièce d’identité, qu’on passe le baccalauréat, qu’on fait le passeport… Comment est-il possible qu’un individu devienne chef de l’Etat sans avoir un acte de naissance alors que c’est une pièce d’une extrême importance ? Et l’acte de naissance que le Régime a fourni au monde a fini de nous convaincre que nous avions un président déclaré qui n’a pas d’acte de naissance. On ne peut pas tricher ainsi avec la loi et avec le peuple. Nous sommes obligés de rappeler de telles évidences parce que plusieurs compatriotes tentent de l’esquiver. Si nous sommes un pays de droit, cette tricherie est insupportable, impardonnable, intenable…

Si la France gaulliste des Sarkozy et Chirac, habitués à la politique-business, a soutenu et applaudi la déclaration de victoire d’Ali Bongo, il n’en était pas ainsi pour les partis de Gauche, notamment le Parti socialiste. Ce dernier y a vu un recul de la démocratie et une affirmation de ce qui se profilait à l’horizon : la dynastie. Et la presse française ne s’est pas privée de rappeler tous les torchons sales que traine le Pouvoir gabonais. Elle a diffusé une vidéo des francs-maçons gabonais, un reportage sur les élections truquées de 2009 (Canal+) et un reportage sur les évènements du 20 décembre (France 24). Une couverture médiatique française qui a provoqué le courroux de ceux qui sont habitués à torpiller les autres, surpris d’être eux aussi désormais torpillés par les médias et la Gauche française qui se mêlent au combat permanent que mènent des Gabonais épris de Liberté à Libreville et à Port-Gentil. Une marche contre France 24, coupable d’être une télévision libre qui soutiendrait les Gabonais résistants, et une convocation par le ministre des Affaires étrangères des ambassadeurs accrédités au Gabon pour dire le mécontentement du Régime face au traitement de l’information relative aux soubresauts politiques. Et la France qui fait fi de telles intimidations diffusait plus d’une semaine plus tard, un reportage sur «les routes impossibles» du Gabon (Canal+), un pays où le pétrole coule à flot et où le bois fait rentrer d’importantes devises. Le Gabon a autant de paradoxes qu’une île maudite.

De telles prises de positions ressemblent fort bien, fort malheureusement à une ingérence pilotée depuis la métropole. Des mots aussi détestables que ce qu’ils veulent dire, quand l’on veut jouer aux airs d’intellectualisme africain. La France a-t-elle le droit de s’ingérer dans les affaires intérieures d’un Etat souverain ? Probablement que non. Mais non seulement le droit d’ingérence est un devoir, mais en plus qui peut affirmer que le Gabon est un pays souverain aujourd’hui ? L’amitié française est séduisante lorsqu’elle postule un universalisme républicain pour défendre les idéaux universels d’égalité, de liberté et de fraternité. L’ambition de se battre pour ces idéaux en dehors de son territoire est louable, à condition que cette bataille soit désintéressée, c’est-à-dire qu’elle soit profondément humaniste.

Historiquement, le peuple gabonais s’est battu pour sa liberté et faire de son histoire une affaire glorieuse. Ce fut le cas en 1964 lorsque des militaires firent un coup d’Etat contre Léon Mba qui n’a jamais souhaité au Gabon une identité souveraine. La France s’ingéra alors dans les affaires intérieures du Gabon grâce à son armée pour faire tomber les putschistes et réinstaller Léon Mba. Ce qui eut pour conséquence la mort politique d’un homme au destin illustre, Jean Hilaire Aubame. Il en fut ainsi en 1990 lorsque le Peuple gabonais voulait rétablir son histoire sans le nom de Bongo. L’armée française était intervenue notamment à Port-Gentil où les Français étaient aussi des cibles légitimes des manifestants. En 2009, la France de Sarkozy a soutenu la dynastie Bongo. Ainsi, la dynastie n’a pu se constituer que parce qu’elle avait un soutien de la métropole. Lorsque la France avait occulté volontairement les valeurs universelles pour défendre l’économisme à tout-va, le Régime ne criait pas haro sur la France, content qu’il était de recevoir un soutien de poids du colonisateur. La responsabilité de la France dans la fâcheuse histoire du Gabon est un secret de polichinelle. Elle aussi doit passer aux aveux et faire acte de repentance. Peut-être est-ce cela qu’il faut comprendre dans les voix des médias français, les sorties de Bourgi et le livre de Pierre Péan. Mais il en faut bien plus.

Ces derniers temps, la France tente de se repentir. Elle a commencé à regarder dans le rétroviseur pour voir le mal qu’elle a fait à tant de peuples en Afrique. Il lui faut maintenant se repentir en ressuscitant ce qui l’a toujours distinguée des autres nations du monde : les droits de l’Homme et du citoyen. Un tel réflexe qui me rappelle l’essai de Todorov, Mémoire du mal, tentation du bien, qui montre avec pertinence que le bien est le destin de l’Homme. Il faut donc toujours que le bien triomphe du mal, quel que soit le nom de la tragédie. Quand la France a soutenu les Bongo, jamais on a osé dire qu’elle déstabilisait le pays ; maintenant que, au lieu de défendre la dynastie, elle se surprend à défendre les valeurs universelles pour le bien du peuple gabonais, on l’accuse de vouloir déstabiliser le pays.

Les relations de la France avec ses anciennes colonies sont toujours ambiguës, et elles le demeureront tant que la France n’aura pas elle-même compris sa responsabilité historique dans le développement économique de ses anciennes colonies et dans l’accession à la liberté des peuples africains. Quelques intellectuels africains voudraient que l’Afrique résolve elle-même ses problèmes, un vœu pieux que nous portons tous au fond de nos âmes, mais la réalité est que l’Afrique n’a pas les moyens de s’occuper de ses propres problèmes. Non seulement elle peine à adhérer aux valeurs universelles vantées par la démocratie, mais en plus elle ne croit même pas au bien, singulièrement dans l’aire francophone.

En Côte d’Ivoire, par exemple, si la France n’était pas intervenue, on aurait assisté probablement à un génocide ; là où elle n’est pas intervenue, ou elle est intervenue maladroitement, on l’accuse d’avoir été indifférente, une indifférence active. Au Burkina Faso, il a fallu qu’elle exfiltre Blaise Compaoré. Les peuples d’Afrique ont à combattre deux monstres : les monstres politiques africains et les monstres de la mafieuse françafrique. C’est un combat difficile qui a déjà fait beaucoup de morts, et il en fera encore. Puisque, comme l’écrit un certain Grossman, «l’aspiration de la nature humaine vers la liberté est invincible, elle peut être écrasée mais elle ne peut être anéantie», nous allons continuer à lutter et souhaiter que la France soit notre amie dans ce combat. Avec une «Société des amis du Gabon» comme du temps de l’esclavage avec la Société des amis des Noirs où figuraient des noms aussi prestigieux que Condorcet, Lafayette et l’Abbé Grégoire. Le Club 90 que nous avons récemment créé travaille dans ce sens en favorisant la construction d’une Majorité Citoyenne pour que se mette en place un vrai Etat de droit. Le Gabon ressemble, à s’y méprendre, à un enfant attardé dont le cerveau n’a pas connu un développement normal. Toujours des occasions manquées, des opportunités dilapidées, des excuses pour se dédouaner… Un pays sans Raison.

La France doit soutenir le combat du peuple gabonais pour la liberté, parce que le Gabon doit s’affranchir de la dynastie Bongo et du tutorat français. C’est dans cette double condition que la France demeurera l’amie du peuple gabonais. Et si, comme on l’entend ici et là, le peuple gabonais devrait boucler les clivages par un grand meeting de discussions, la condition pour rendre ces discussions possibles est la démission d’Ali Bongo. Le peuple ne peut discuter avec lui que s’il a pris le soin, lui aussi, de se repentir et de laisser le pouvoir. Pour que vive l’amitié franco-gabonaise, comme le chantait Mackjoss.

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