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Des foules joyeuses aux électeurs : L’écart différentiel
Publié le lundi 9 mai 2022  |  Gabon Review
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© Autre presse par DR
Des foules joyeuses aux électeurs : L’écart différentiel
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Au lendemain de la célébration du 54e anniversaire du Parti démocratique gabonais (PDG), le diplomate, écrivain et universitaire gabonais Flavien Enongoué jette dans la tribune ci-dessous, un regard froid sur les rassemblements politiques populaires. S’il peut relever que «la mobilisation des foules joyeuses participe de la structuration de l’identité du PDG, et ses groupes socioculturels y contribuent largement, surtout pendant les périodes électorales», il rappelle également que «selon les scrutins, et particulièrement lors de l’élection présidentielle, l’écart différentiel atteint parfois des proportions qui incitent logiquement à s’interroger». L’Universitaire fait des propositions pour permettre au parti des masses d’affronter avec plus de sérénité la présidentielle de 2023.

À la faveur de la célébration de son 54e anniversaire, le Parti démocratique gabonais (PDG), au pouvoir depuis sa création le 12 mars 1968, a renoué avec les grands rassemblements politiques dont ses militants et sympathisants étaient privés ces deux dernières années en raison de la «tempête virale» du Covid-19. Pendant un mois et demi, aussi bien à Libreville, les 12 mars et 23 avril, que dans l’arrière-pays, on a assisté à leur déferlement par milliers pour prendre activement part aux festivités : le 26 mars à Lambaréné et Port-Gentil, le 2 avril à Franceville et Koula-Moutou, le 9 avril à Makokou et Oyem, et le 16 avril à Tchibanga et Mouila.

Tout au long de son histoire cinquantenaire, dont près de la moitié en tant que parti unique (1968-1990), l’organisation de ce type de rassemblements témoigne de l’inscription du PDG dans le modèle de parti de masse, traduite d’ailleurs dans son corpus juridique. L’initiative relativement récente (10e Congrès ordinaire des 5, 6 et 7 avril 2013), qui a consisté à le définir également comme un parti d’élites (art.1er du Titre I des Statuts), est incontestablement marquée du sceau de la maladresse sémantique, tant les deux modèles sont intrinsèquement opposés. À la différence de ce dernier, le parti de masse se caractérise fondamentalement, dans ses modalités d’organisation, par un grand nombre d’adhérents, une activité permanente, un dévouement et un militantisme actifs, ainsi qu’une lourde structuration administrative (Cf. Piero Ignazi, Parti et démocratie. Histoire d’une légitimité fragile, Paris, Calmann Levy, 2021, p. 217). C’est dire combien la mobilisation des foules joyeuses participe de la structuration de l’identité du PDG, et ses groupes socioculturels y contribuent largement, surtout pendant les périodes électorales. Si ces mobilisations peuvent constituer un indicateur fiable du dévouement et de l’engagement de la plupart de ses militants, il en va différemment de leur traduction en «enthousiasme civique» lors des élections politiques. Ici et là, selon les scrutins, et particulièrement lors de l’élection présidentielle, l’écart différentiel atteint parfois des proportions qui incitent logiquement à s’interroger.

Les adversaires ont souvent vu dans ces impressionnantes foules joyeuses, le résultat de la mobilisation clientélaire. Dans une tribune parue il y a six (6) ans dans les colonnes de L’Union (19 juillet 2016), reprise dans Philosopher aujourd’hui hors les murs (Libreville, Editions Raponda-Walker, 2021, p.81-85), je relevais déjà que cette critique avait le mérite de faire le procès d’une pratique, mais elle péchait résolument à lui accorder une importance exagérée. Je tiens toujours ladite pratique marginale, mais sans être aujourd’hui catégorique sur le fait qu’il s’agirait des initiatives d’entrepreneurs politiques isolés ou de second rang. La mobilisation clientélaire des foules joyeuses ne saurait donc, à elle seule, expliquer cet écart différentiel. Il existe des raisons plus substantielles. Et l’expérience vécue de l’intérieur en 2016 conforte cette hypothèse.

Une semaine avant la publication de la tribune précitée, je m’étais retrouvé avec bonheur à Port-Gentil – tant je m’y rendais pour la première fois, et malheureusement la seule à ce jour –, pour assister à la 2e édition des «Universités de l’Union des Jeunes du Parti démocratique gabonais». Lors de la cérémonie de clôture, le 26 juin, une personnalité nationale originaire de la localité, prenant à témoin l’immense foule joyeuse de plusieurs milliers de personnes réunies à la Foire de la ville, promit avec emphase au président de la République, présent, une «victoire cash», non seulement dans la capitale économique mais également dans la province de l’Ogooué-Maritime, lors du scrutin qui allait se tenir dans deux mois. À un membre éminent du gouvernement, qui avait remarqué que le léger sourire en coin reflétait la perplexité de mon visage, et avait, aussitôt après la cérémonie, sollicité quelques explications, j’avais laconiquement répondu que le message des faits me semblait tout autre, pour des raisons aussi bien conjoncturelles que structurelles.

En référence au premier registre, je conseillais de prendre en compte une réalité politique pas tout à fait anodine : le principal challenger, Jean Ping, en était originaire. Pour le second, j’avais promis de lui faire parvenir, une fois de retour à Libreville, copie d’une autre tribune que j’avais publiée quatre mois auparavant, sous le titre «Makaya, homme invisible, pour qui voteras-tu ?» (L’Union du 25 mars 2016), reprise dans Philosopher aujourd’hui hors les murs (op. cit.,.p.73-79). Ce qui fut fait.

Dans cette tribune, basée sur une étude statistique du vote PDG depuis 2008 – date de la dernière élection sous Omar Bongo Ondimba –, j’expliquais notamment que la configuration géographique dudit vote donnait à constater l’existence de trois pôles géographiques électoraux et que l’Ogooué-Maritime, l’Estuaire et le Woleu-Ntem se situaient électoralement dans un pôle critique : l’axe Ouest-Nord, caractérisé par une instabilité des résultats électoraux du PDG, souvent défavorables lors des élections présidentielles. Personne ou presque n’y avait alors prêté attention au sein du PDG, avant que les résultats du scrutin du 27 août ne confirment, grosso modo, ladite configuration géographique ternaire du vote PDG. Les deux autres pôles étant : celui électoralement indécis, sur l’axe Cendre-Sud, constitué des provinces du Moyen-Ogooué, de la Ngounié et de la Nyanga, et le pôle électoral très favorable constitué des trois provinces de l’Est : Haut-Ogooué, Ogooué-Lolo et Ogooué-Ivindo.

Six ans plus tard, ici et là, à travers tout le territoire, les toutes récentes mobilisations politiques ont logiquement donné lieu à l’appel à la candidature du Président Ali Bongo Ondimba à l’élection présidentielle prévue courant août 2023. Ces appels ont été systématiquement accompagnés, comme par le passé, de promesses de «victoire cash», souvent sans déclinaison des modalités pour y parvenir. D’où le risque, dans bien des cas, de n’en faire qu’un slogan politique, donc de créer les conditions de cet écart différentiel entre les foules joyeuses et les électeurs. Pour le surmonter, il me semble nécessaire de satisfaire à une condition préalable : porter une attention méritée à la statistique électorale ; car on dit souvent de la statistique qu’elle est l’œil du décideur.

Le recours à la statistique ne manque pas de fondements objectifs pour l’analyse politique du comportement des électeurs gabonais, qui englobe des aspects descriptifs et explicatifs. En effet, et suivant en cela Bernard Denni et Pierre Bréchon au sujet de la situation en France : «La statistique électorale peut être utilisée dans un but de description. L’analyste mesure à la fois les permanences et les évolutions de forces électorales […] d’une élection à l’autre ; il localise les zones de force et de faiblesse de chaque tendance politique sur le territoire national. Mais la sociologie électorale cherche aussi à expliquer la géographie du comportement électoral, […] («Les méthodologies de l’analyse électorale», dans Daniel Gaxie (dir.), Explication du vote. Un bilan des études électorales en France, Paris, Presses de Sciences Po, coll. «Références», 2e éd., 1989, [p.49-73], p.51.

La première tâche, plus aisée, consisterait à évaluer, sur la base du corps électoral que représente l’ensemble des électeurs remplissant les conditions légales et qui sont effectivement inscrits sur la liste électorale des scrutins précédents, combien avaient pris part au vote, c’est-à-dire les votants ; le différentiel étant l’abstention. Tâche d’autant plus aisée que, comme le note Céline Braconnier : «À la différence de la plupart des autres comportements politiques, la participation électorale laisse des traces objectives dans des registres officiels rendant possible l’analyse des pratiques effectives» («L’abstention et la participation électorales», dans Olivier Fillieule, Florence Haegel, Camille Hamidi, Vincent Tiberj (dir.), Sociologie plurielle des comportements politiques. Je vote, tu contestes, elle cherche…, Paris, Presses de Science Po, 2017, [p.39-59], p.47). Aussi réaliserait-on que l’évaluation statistique de la participation électorale donne à constater des disparités territoriales, avec un fort taux de participation en milieu rural, généralement favorable au PDG, devenu massif lors des élections locales de 2013, et un vote relativement élevé, parfois faible, selon le scrutin, dans les villes. Ce qui oblige à élaborer, pour les prochaines échéances électorales de 2023, des stratégies appropriées, donc spécifiques, afin de conforter le vote massif en milieu rural, et accroître le taux dans les grandes villes, surtout à Libreville et à Port-Gentil.

Par ses «propriétés morphologiques», le marché politique gabonais a les principales caractéristiques – j’emprunte, hors contexte, l’analyse à Daniel Gaxie (op. cit.) – d’un marché non seulement «restreint», mais aussi «segmenté» en territoires administratifs fortement marqués ethniquement, à «tendance monopoliste», au regard de la place centrale et dominatrice qu’occupe la plus grande entreprise politique qu’est le PDG, et par certains aspects «notabilitaire», eu regard au rôle important que jouent durablement des personnalités politiques, chacun dans une circonscription spécifique et investi du statut informel de «doyen politique de la localité». Ces caractéristiques ne sont pas sans conséquence sur le comportement politique des électeurs gabonais, notamment en matière de mobilisation et participation électorales, d’expression partisane des préférences et de leur ancrage géographique.

C’est parmi ces personnalités politiques qu’il importerait d’identifier prioritairement, mais pas exclusivement, les relais crédibles pour porter la mission d’encadrement visant à convertir la ferveur militante des foules joyeuses dans les manifestations politique en «enthousiasme civique» lors des scrutins électoraux. Cette mission recouvre «l’ensemble des incitations par lesquelles les entrepreneurs politiques travaillent à créer l’accoutumance politique au vote ou à réactiver à leur profit l’orientation passive ou active vers le marché politique que les mécanismes de la mobilisation politique au sens large ont contribué à générer» (François Subileau et Marie-France Toinet, «Mobilisation électorale et invention du citoyen. L’exemple du milieu urbain français à la fin du XIXe siècle», dans Daniel Daxie (dir.), Explication du vote. Un bilan des études électorales en France, op. cit., [p.149-198], p.153). De ce que le PDG soit inscrit dans le modèle de parti de masse devrait, en principe, faciliter la réalisation de cette mission d’encadrement politique de masse des électeurs potentiels, dans la mesure où il dispose, notamment, d’une structuration politique et administrative aux ramifications tentaculaires à l’échelle du territoire national. Il a, à cet effet, au titre des instances de délibération, un Comité permanent du Bureau politique, un Bureau politique, un Conseil national et un Comité central ; au titre des instances exécutives : un Secrétariat Exécutif, auxquels sont rattachés deux organes spécialisés (UFPDG et UJPDG), et disposant de démembrements locaux : Secrétariats provinciaux, départementaux, communaux, fédéraux, de Section et de Comité. Comment s’y prendre ?

Flavien Enongoué, Maître-assistant de Philosophie politique à l’Université Omar-Bongo
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